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Jacques Ellul 

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Søren Kierkegaard

kierkegaard

Repères

et mort à Copenhague, Søren Kierkegaard (1813-1855) est un philosophe danois inconnu de son vivant en-dehors de son pays, mais dont l’impact s’est pourtant avéré considérable au XXe siècle et demeure aujourd’hui très prégnant : pratiquement tous les grands philosophes (Heidegger, Jaspers, Sartre, Ricoeur…) et théologiens (Barth, Bultmann, Bonhoeffer, Tillich…) se sont explicitement inscrits dans son héritage. Le courant existentialiste l’a notamment présenté comme son père fondateur, même si lui-même se méfiant de tous les « -isme » et n’exposait sa posture que comme une « pensée existentielle ».

En réaction contre la prétention hégélienne de rendre compte de la totalité du réel à travers la construction d’un système rationnel, objectif et spéculatif extrêmement élaboré, Kierkegaard a rappelé la dimension irréductible de l’existence subjective. Chacun est un Individu Unique dont l’expérience intime, et notamment la relation absolue avec l’Absolu, se déploie dans une radicale et insurmontable singularité.

Kierkegaard distingue trois « stades », trois manières d’être au monde : le stade « esthétique », marqué par la jouissance du présent et la fuite à l’égard de soi-même ; le stade « éthique », qui s’exprime par l’engagement dans la durée, conformément aux normes sociales ordinairement admises (ce que Kierkegaard appelle « réaliser le général ») ; et enfin le stade « religieux », dans lequel l’Individu singulier n’entre qu’au prix d’un saut dans l’Absolu, dans l’éternité, d’un acte de foi sans garanties ni sécurités rationnelles, et qui se paie d’incompréhensions, de souffrances et de solitude.

Søren Kierkegaard a consacré les dernières années de sa courte vie à dénoncer avec une vigueur inégalée les compromissions de l’Église luthérienne du Danemark : il lui reprochait notamment d’adoucir les hautes exigences du message évangélique et de cautionner toutes les œuvres humaines en vue de se maintenir elle-même en tant qu’institution dans une société soi-disant chrétienne mais en réalité déchristianisée, revenue au paganisme sous couvert de chrétienté. Kierkegaard mourra d’épuisement, en 1855, au milieu de cet inégal combat.

 

Ellul lecteur de Kierkegaard [1]

par Frédéric Rognon

Parmi les héritiers de Søren Kierkegaard, Jacques Ellul fait figure de disciple à la fois des plus fidèles et des plus méconnus[2]. L’examen des données biographiques et bibliographiques nous conduisent à relever un premier paradoxe dans la confrontation des œuvres de Søren Kierkegaard et de celles de Jacques Ellul : leur trajectoire s’apparente davantage à un destin croisé qu’à un cheminement parallèle. Si Jacques Ellul, en effet, a été marginalisé en France mais reconnu aux Etats-Unis de son vivant, et cependant bénéficie aujourd’hui d’une fortune posthume dans sa propre patrie, Søren Kierkegaard, à l’inverse, ne fut célèbre à son époque qu’à l’intérieur des frontières danoises, mais se trouve à présent davantage lu et étudié à l’étranger, et notamment en France et aux États-Unis, qu’à Copenhague.

Au-delà de ce chiasme singulier qui se dégage de leur biographie comparée, peu d’éléments de leur vie peuvent prêter à un quelconque rapprochement. Jacques Ellul (1912-1994) a vécu près de deux fois plus longtemps que Søren Kierkegaard (1813-1855). Il fut professeur d’histoire des institutions à la Faculté de Droit et à l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux alors que Kierkegaard refusa le statut de fonctionnaire, que ce fût comme professeur ou comme pasteur. Il fonda un foyer tandis que Kierkegaard demeura célibataire après sa fameuse rupture avec Regina Olsen. Et si tous deux s’élevèrent vigoureusement contre les dérives de leur Église respective, Jacques Ellul accepta d’être membre du Synode national et du Conseil national de l’Église Réformée de France pendant près de vingt ans, lorsque Kierkegaard rejeta tout mandat officiel dans l’Église luthérienne du Danemark. Tout semble donc opposer leur trajectoire biographique. Seules leurs affinités intellectuelles se dégagent avec netteté, et nous intéresseront ici.

LA RECONNAISSANCE DE LA DETTE

Jacques Ellul reconnaît explicitement sa dette intellectuelle envers trois auteurs, dont il affirme avoir lu l’intégralité de l’œuvre[3], et à la source desquels s’abreuve sa pensée : Karl Marx, Karl Barth, et Søren Kierkegaard. Cependant, des trois hommes, c’est à l’évidence le dernier qui inspire le plus puissamment sa propre réflexion. Ellul le découvre en 1930, à l’âge de dix-huit ans, soit un an après sa conversion à la foi chrétienne, et alors même qu’il vient de rencontrer l’œuvre de Marx. Mais tandis que Le Capital lui fournit sa première interprétation globale du monde, il trouve chez le penseur danois un véritable « frère » spirituel, « plus proche » même qu’un frère, envers lequel il manifeste une véritable « empathie »[4]. Kierkegaard tranche en effet avec les autres auteurs : « Tous les philosophes m’ont toujours paru hors de la réalité. Ils étaient uniquement dans leur tête. (…) Kierkegaard m’a saisi car il s’adressait à mon être. Brusquement j’ai réalisé qu’il y avait un monde de distance entre le fonctionnement purement intellectuel et une réflexion intégrée dans une vie. J’ai eu une passion pour Kierkegaard que j’ai gardée toute ma vie »[5].

Le premier point qui séduit Jacques Ellul chez le penseur de Copenhague est la radicalité de sa foi, qui se refuse aux compromis avec le monde, à tous les conformismes, au nom de la « suivance » inconditionnelle du Christ : il n’y a pas, chez le Danois comme chez le Bordelais, de continuité entre l’action de l’homme et le Royaume de Dieu. À l’instar de Kierkegaard, Jacques Ellul polémiquera rudement à l’égard des valeurs de la société, qu’il s’agisse de la technique, de la politique, de l’économie, ou même de la religion qui n’est pas, selon lui, volonté de Dieu mais divinisation de l’homme. Loin de la religion, le saut de la foi, compris comme un plongeon dans l’absolu, sans aucune sécurité, est la seule solution pour sortir de l’absurde : « Grâce à lui j’ai compris que je ne comprenais rien au vrai désespoir »[6], témoignera Ellul. Pour Kierkegaard, chaque individu est un être unique, dont le caractère absolument singulier tient à la relation exceptionnelle, irréductible et ineffable qu’il entretient avec son Seigneur et Sauveur. Jacques Ellul se retrouve également dans la représentation kierkegaardienne de Dieu, comme étant à la fois le Tout-Autre, « l’Inconditionné »[7], et le Tout-Proche, celui qui accompagne l’homme dans sa vie. Enfin, il s’inspirera de sa critique d’une Église qui a trahi le message originel du Christ. Ce dernier point est particulièrement clair dans La subversion du christianisme.

Dans la préface à l’imposante étude de Nelly Viallaneix consacrée à Kierkegaard, Jacques Ellul expose ce que le penseur danois représente pour lui : « Ce n’est pas tellement sa pensée qui est évocatrice ou exemplaire, c’est « lui-dans-sa-pensée ». (…) Son interpellation vise le tout de ma personne et n’y laisse rien intact. Habituellement, dans mes lectures, le mécanisme critique de la pensée joue aussitôt, et je suis appelé à répondre : « Oui, mais… » Les auteurs qui ont eu le plus d’influence sur moi m’ont fait penser par réaction. Je n’ai jamais adhéré à un système. À l’égard de Barth lui-même, j’ai toujours pris une distance critique. Ma relation à Kierkegaard n’a rien de comparable. Ici, je suis seulement à l’écoute. Je ne cherche pas à imiter, ni à appliquer méthodes ou concepts. Je suis renvoyé à moi-même par un miroir qui rend éclatantes pensées, contradictions, exigences, présence à la vie et présence à la mort. Renvoyé à moi-même, mais plus du tout semblable à ce que j’étais avant d’avoir lu tel ou tel texte. Interpellé. Mis au pied du mur, par un rapport singulier qui m’interdit toute échappatoire. J’écoute. Je ne discute pas la pensée de Kierkegaard, mais je me sens obligé de répondre, de répondre à un autre qu’à Kierkegaard lui-même »[8].

Ainsi, si Jacques Ellul est fortement marqué par Calvin dans les premières années de sa vie adulte, il s’en écarte pour se rapprocher de Barth et surtout de Kierkegaard[9]. Il est alors barthien lorsque Barth est kierkegaardien, c’est-à-dire dans la préface à la seconde édition de son Commentaire de l’Épître aux Romains[10], mais il convoque Kierkegaard contre Barth lorsque celui-ci se démarque de celui-là, dans sa période systématicienne, et notamment après son virage « humaniste » et « politique », dans les derniers volumes de sa Dogmatique. C’est ainsi qu’Ellul affirme à plusieurs reprises être beaucoup plus influencé par Kierkegaard que par Calvin[11] ou par Barth[12]. De fait, dans l’ensemble du corpus ellulien, œuvre considérable de cinquante quatre livres et un millier d’articles, soit environ treize mille pages publiées, rares sont les textes qui ne font pas implicitement allusion à la pensée de Kierkegaard, quand ils ne la mentionnent pas par des citations ou des références explicites[13].

L’ARCHITECTURE DE L’ŒUVRE

On connaît les ressorts dialectiques de la production littéraire de Kierkegaard, qui mariait subtilement œuvres romanesques et réflexions philosophiques, sous divers pseudonymes, et exhortations religieuses, sous son propre nom. Dans son Point de vue explicatif de mon œuvre d’écrivain, il précise qu’il a toujours proposé à ses lecteurs, simultanément des ouvrages « esthétiques » et des textes « religieux », et que le public s’est enflammé pour les premiers et a boudé les seconds : « De la main gauche, j’offris au monde L’Alternative, et de la main droite Deux discours édifiants ; mais tous ou autant dire tous tendirent leur droite vers ma gauche »[14]. Les textes d’édification apparaissent donc comme un refrain religieux qui ponctue l’œuvre esthétique, selon une stratégie mûrement réfléchie (mais finalement peu efficace) qui consiste à capter l’attention des lecteurs par cette dernière afin de les conduire aux premiers, à l’instar d’un appât fixé à l’hameçon.

Jacques Ellul expose lui aussi sur un mode dialectique le rapport qu’il a instauré entre les deux versants de son œuvre[15] : d’une part les ouvrages sociologiques, qui décrivent la société moderne dans ses diverses dimensions (la technique, la politique, la propagande, l’art…), et d’autre part les études bibliques et réflexions théologiques ou éthiques, consacrés à certains livres de l’Ancien et du Nouveau Testament (Genèse, 2 Rois, Ecclésiaste, Jonas, les Évangiles, l’Apocalypse) et à différents thèmes de la vie chrétienne (la prière, la liberté, l’espérance, l’argent, la violence…). Cela ne signifie pas que les secondes offrent une réponse ou une solution aux premiers, mais qu’elles s’inscrivent comme un contrepoint théologique aux problèmes sociologiques. C’est ainsi que Politique de Dieu, politiques des hommes[16] vient s’établir en tension dialectique avec L’illusion politique[17], l’Éthique de la liberté[18] avec La technique ou l’enjeu du siècle[19], et L’espérance oubliée[20] avec Le système technicien[21]. Pour chaque problème analysé, malgré une sociologie sans complaisance des déterminations et des conditionnements qui accablent l’homme moderne, le chrétien échappe au nihilisme désespérant par sa foi et son assurance d’être libre malgré tout. C’est pourquoi Jacques Ellul considère qu’il n’a pas écrit des livres, mais un seul livre dont chacun est un chapitre[22] : les deux parties de son œuvre « se correspondent dans une sorte de jeu dialectique dont l’espérance est le point de crise et d’issue »[23]. Et il précise : « Si vous ne prenez en compte que la dimension théologique, il vous manquera l’élément d’incarnation. Si vous vous intéressez uniquement à la dimension socio-politique, vous buterez constamment sur une absence de réponse ou d’ouverture »[24]. Jacques Ellul défend donc la cohérence de son œuvre, qui forme un tout : ses analyses sociologiques sont des prémisses nécessaires pour « éveiller l’homme à lui-même »[25], et n’ont pu atteindre leur radicalité désespérante que parce qu’elles se situaient dans la perspective de l’amour de Dieu et de l’espérance du Royaume[26]. Et Jacques Ellul termine ainsi son propre Point de vue explicatif : « Je décris un monde sans issue, avec la conviction que Dieu accompagne l’homme dans toute son histoire »[27].

LA FINALITÉ DE L’OEUVRE

Jacques Ellul s’inspire aussi grandement de Kierkegaard, non seulement pour construire et justifier le programme de son œuvre, mais pour rendre compte de son ambition philosophique. C’est ainsi qu’il prétend vouloir faire avec Marx, Nietzsche et Freud, les trois « maîtres du soupçon »[28] qu’Ellul qualifie de « trois grands malfaiteurs de l’humanité »[29], ce que Kierkegaard a fait avec Hegel : combattre sans relâche l’influence pernicieuse de leurs écrits. En instaurant le règne du soupçon, dans lequel nul n’a plus confiance en rien ni en personne, ces trois auteurs ont en effet ruiné tout idéal, et donc toute espérance : car « il n’y a pas d’espérance là où règne le soupçon »[30]. « Ils nous ont proprement hypnotisés »[31], et ce à grande échelle car leur pensée ardue est passée dans le domaine public par le truchement de la littérature et du cinéma. De leur fait, le XXe siècle est devenu le temps de l’imposture, du mépris, des espoirs bafoués, de la trahison des idéaux, de la dérision et du reniement de l’homme par l’homme. C’est pourquoi, affirme Jacques Ellul, « si nous voulons retrouver une espérance, il nous faut, sur le plan intellectuel, spirituel et social, procéder à un véritable désenchantement, à une sortie hors de la caverne magique. Il nous faut retrouver le soleil et l’authenticité de la vertu. Il faudrait arriver à faire à leur égard la même opération que Kierkegaard a effectuée envers le mythe hégélien. Car nous ne devons pas oublier que c’est Kierkegaard, et non pas Marx, qui a démystifié Hegel, qui a remis la dialectique sur ses pieds, c’est Kierkegaard et non pas Marx qui a su transcender Hegel et resituer l’homme. Marx n’a su qu’enfermer l’homme davantage dans le domaine hégélien, et il a ajouté le destin économique au destin de l’État, appelé Liberté. Ce que Kierkegaard a fait, nous devrions pouvoir le refaire »[32]. Jacques Ellul ne trouve pas seulement chez Kierkegaard un modèle de posture polémique à transposer du XIXè au XXè siècle contre de nouveaux adversaires, mais il lui emprunte aussi la source biblique qui lui sert de référence absolue, de ressource d’inspiration et d’arsenal argumentatif : car Kierkegaard n’a été capable de mener à bien sa geste salutaire « qu’en se référant avec rigueur à la révélation en Jésus-Christ, c’est-à-dire en remettant la réalité de l’opération intellectuelle qu’il entreprenait à la liberté d’action d’un plus puissant que lui. Tout dépend de là »[33]. Dans le sillon ainsi tracé, Ellul estime que celui qui se croit « libre en Christ »[34] est libéré à l’égard du soupçon, et n’a pas à tenir compte de ce que Marx, Nietzsche et Freud lui enseignent, mais se trouve désormais équipé pour accueillir l’autre avec confiance : « Tel est l’acte de la liberté »[35]. En réalité, le traitement qu’Ellul fera subir à l’œuvre de Marx s’apparente bien moins à une opposition frontale, comme dans le rapport de Kierkegaard à Hegel après sa période de séduction, qu’à une assomption sélective. L’audace et la détermination dont le penseur danois fit preuve n’en demeurent pas moins décisives dans l’orientation de l’œuvre de Jacques Ellul.

LA DIALECTIQUE

La dialectique n’est pas seulement, pour nos deux auteurs, un mode de gestion et d’exposition des deux versants de leur œuvre littéraire. Elle est aussi le fondement commun de leur méthode de pensée. Comme Vernard Eller l’a clairement montré[36], Kierkegaard et Ellul se rejoignent dans le déploiement d’une dialectique existentielle concrète, et non pas intellectuelle, qui ne peut donc être systématisée. Dans l’œuvre de Kierkegaard, la meilleure illustration en est le Post scriptum définitif et non scientifique aux Miettes philosophiques[37] : puisque « le problème n’est pas celui de la vérité du christianisme, mais du rapport de l’individu avec le christianisme »[38], ce problème ne peut être formalisé en un Système objectif et universel. Il concerne l’intériorité, la « passion suprême de la subjectivité »[39]. Seule l’intériorité du sujet peut endurer les paradoxes que la raison systématique n’est pas en mesure d’expliquer : le dialectique de la religiosité B (paradoxale) « n’est pas une tâche offerte à la pensée »[40]. Le christianisme, en effet, n’est pas une doctrine mais une communication existentielle, qui se refuse à l’intellection : « le difficile, ce n’est pas de comprendre ce qu’est le christianisme, mais bien de devenir et d’être chrétien »[41].

Jacques Ellul rejoint très précisément la posture de Kierkegaard sur ce point, lorsqu’il écrit : « Je me refuse à présenter ma pensée sous forme de théorie et de façon systématique. Je fais un ensemble dialectique ouvert et non pas fermé et je me garde bien de présenter des solutions de l’ensemble, des réponses aux problèmes, des issues théoriques pour l’avenir : si je le faisais, je contribuerais moi aussi à la totalisation technicienne »[42]. Il s’élève d’ailleurs contre la systématisation de la pensée de Kierkegaard, à travers l’existentialisme sartrien[43]. Sa réception de la réception de l’œuvre kierkegaardienne le conduit à quelques sévères jugements à l’encontre de ceux qui ont perverti la dialectique en système. À partir de présupposés différents (l’aspiration à crucifier la raison chez Kierkegaard, la volonté de faire brèche dans l’englobant technicien pour Ellul), nos deux auteurs adoptent la même démarche dialectique : la mise en tension de deux pôles dont la synthèse ne peut être réalisée. Dans un cas comme dans l’autre, le rapport entre la révélation biblique et le monde moderne relève de la confrontation et non de la réconciliation.

LA BIBLE

La dialectique de Jacques Ellul, à l’instar de celle de Kierkegaard, trouve son fondement dans l’Écriture. C’est ainsi qu’il écrit, en introduction à son œuvre éthique : « Le critère de ma pensée est la révélation biblique ; le contenu de ma pensée est la révélation biblique ; le point de départ m’est fourni par la révélation biblique ; la méthode est la dialectique selon laquelle nous est faite la révélation biblique ; et l’objet est la recherche de la signification de la révélation biblique sur l’Éthique »[44]. Ce scriptocentrisme résolu fait écho aux divers Discours édifiants de Kierkegaard, pour lesquels le texte biblique est seul normatif.

Pour ce qui concerne le mode de lecture de la Bible, Jacques Ellul affirme d’emblée qu’il préfère la méditation spirituelle de Kierkegaard sur Abraham[45] à l’interprétation structurale ou à l’exégèse scientifique. Il ne considère pas que ces deux dernières méthodes soient fausses ou vaines, car elles sont sans doute exactes et utiles pour le jeu de la science, « mais elles ne font pas avancer d’un pas vers l’ultime. Elles servent assurément l’exactitude mais ne disent rien au sujet de la vérité, et ne permettent pas de l’entrevoir mais peut-être la cachent, alors que la répétition[46] de Kierkegaard n’est peut-être pas fondée dans une science de la réalité mais me place en présence de ce que je ne puis récuser sans me récuser moi-même »[47]. Jacques Ellul oppose ici « vérité » et « réalité », et associe terme à terme cette tension bipolaire à la distance qui sépare les Discours édifiants de Kierkegaard des recherches exégétiques modernes. De fait, le style kierkegaardien se retrouve chez Jacques Ellul.

C’est dans le livre que Jacques Ellul a consacré à l’Ecclésiaste, La raison d’être[48], que la présence de Kierkegaard est la plus massive et récurrente. Le préambule est intitulé « Post-scriptum liminaire, polémique et contingent »[49], sur le modèle implicite du Post-scriptum définitif et non scientifique aux Miettes philosophiques. Mais Kierkegaard apparaît explicitement lorsque Jacques Ellul présente Qohelet comme un livre de méditation solitaire : c’est pourquoi Thomas a Kempis et Kierkegaard, « deux solitaires par excellence »[50], se sont fondés sur lui. C’est ainsi que de nombreuses citations de Kierkegaard, elles-mêmes non référées précisément à l’Ecclésiaste, s’égrènent tout au long du livre de Jacques Ellul[51]. Et c’est encore à Kierkegaard que Jacques Ellul se réfère pour décrypter les apparentes contradictions internes au texte de Qohelet : le livre biblique n’a pas à être attribué à plusieurs auteurs, puisque Le journal du séducteur et L’école du christianisme ont été rédigés par un seul auteur[52]. De même, Qohelet et Salomon peuvent être considérés comme deux pseudonymes, à l’image de Climacus et Anticlimacus[53], dont Kierkegaard justifie ainsi la conception : « La série des premiers pseudonymes se situe sur un plan inférieur à l’auteur édifiant – le nouveau pseudonyme est d’un ordre plus élevé »[54]. L’analogie du recours à la pseudonymie que Jacques Ellul croit relever chez l’auteur de Qohelet et chez Kierkegaard s’avère pour lui d’une prodigieuse fécondité : tout se passe comme si la dialectique de Kierkegaard avait permis à Jacques Ellul de discerner la dialectique à l’œuvre dans l’Ecclésiaste, passée inaperçue aux yeux de tant d’exégètes, et lui en avait fourni la clef de lecture. La structure du livre, faite apparemment de pièces hétéroclites provenant d’auteurs différents, rend compte en réalité d’une tension dialectique entre les deux pôles de la vanité et de la sagesse, la sagesse étant elle-même vanité lorsqu’elle ne vient que de l’homme. Car c’est la référence à Dieu, tantôt implicite, tantôt explicite, qui constitue le nœud unificateur de cet enchevêtrement[55]. Jacques Ellul croit donc déceler chez Qohelet les mêmes ressorts de la « communication indirecte » que dans l’œuvre de Kierkegaard : « Le principe de non-contradiction est un principe de mort. La contradiction est la condition d’une communication »[56]. Les paradoxes de l’Ecclésiaste doivent être reçus sur le mode ironique, au second degré, car « il ne peut y avoir aucune énonciation directe de la vérité »[57] : or, « cette communication indirecte est celle sur laquelle Kierkegaard insiste comme étant la seule possible pour la relation à Jésus-Christ »[58].

Enfin, au-delà de la méthode de communication, c’est le contenu de l’enseignement de l’Ecclésiaste dont Jacques Ellul affirme déceler d’évidents échos chez Kierkegaard : « En cheminant je ne pouvais m’empêcher de penser au passage kierkegaardien du stade esthétique au stade éthique. Et tout particulièrement à la “ culture alternée”[59] qui est une prodigieuse illustration de la plupart des thèmes de Qohelet (qui n’y est jamais cité !), et en particulier l’étonnante analyse de l’ennui qui correspond exactement à la vanité – et la récusation de toute espérance qui correspond exactement au « pessimisme pragmatique ». Rien ne vaut, surtout ni s’engager, ni avoir d’amis, ni se marier, ni se souvenir, ni exercer une fonction publique et jouir arbitrairement de n’importe quoi. En vain. “De l’accidentel, on fait l’absolu”. Tel est le désordre que Qohelet dévoile. Et ceci nous suivra. Jusqu’à la référence au seul absolu qui ne soit pas accidentel »[60]. Néanmoins, selon Jacques Ellul, les paradoxes de l’Ecclésiaste ne nous conduisent pas vers l’acceptation aisée d’un Dieu consolant, mais vers « l’abîme de la vanité » : « Et là il y a une décision à prendre. Mais qui ne permet ni de combler l’abîme ni de sauter par-dessus. L’abîme reste abîme même si Dieu est reçu et cru »[61]. Comment ne pas voir dans ces métaphores une allusion à peine voilée au double motif kierkegaardien du saut dans l’Absolu[62] et de la foi qui consiste à nager au-dessus de 70 000 brasses[63] ?

LA FOI

Jacques Ellul identifie explicitement chez Kierkegaard les racines de l’ouvrage qu’il consacre à la thématique de la foi : La foi au prix du doute[64] : « J’affirme que Kierkegaard, est, de tous les auteurs chrétiens, celui qui a le mieux, le plus authentiquement, le plus radicalement rendu compte de la réalité existentielle de la foi »[65]. La foi d’Ellul se nourrit directement de celle de Kierkegaard : « Le modèle constant à garder devant nos yeux est celui de Kierkegaard. Chez lui, la foi a en effet atteint la masse critique ! Et que l’on ne parle pas de masochisme ! »[66]. Jacques Ellul distingue radicalement la foi et la croyance, en termes résolument kierkegaardiens : la croyance rassemble, la foi isole. La croyance est collective, elle permet la vie en société, tandis que la foi est individuelle, elle s’adresse à un Dieu fondamentalement Autre, inassimilable à nos représentations. « Dieu singularise, met à part, donne une identité à nulle autre comparable, l’homme qui écoute sa parole est seul à l’entendre, il est séparé des autres, il devient l’Unique. L’Unique simplement parce qu’il a un rapport unique, semblable à aucun autre, incommunicable (…), rapport unique à un Dieu unique, c’est-à-dire en rien comparable à un autre »[67]. Cette citation pourrait être de Kierkegaard[68]. Mais il n’en va peut-être plus de même avec les développements suivants.

L’opposition entre croyance et foi se précise en effet au sujet du doute : « La foi suppose le doute, alors que la croyance l’exclut »[69]. Kierkegaard aurait-il avalisé cette réhabilitation du doute, lui qui s’était élevé contre l’idée cartésienne qu’il faut d’abord et méthodiquement douter de tout afin de s’acheminer progressivement vers la vérité ?[70] Il peut en tout cas sembler curieux de la part d’Ellul, après avoir dit que Kierkegaard avait parfaitement rendu compte de la foi, d’en rendre compte à son tour au moyen du doute, que Kierkegaard associait étroitement au péché[71]. En réalité, le doute dont parle Jacques Ellul n’est pas le doute quant à la révélation ; il est le doute sur moi-même, sur mon manque de foi, il est l’épreuve critique quant à ce que je crois. Douter, c’est se demander si nous ne sommes pas simplement remplis de croyances[72]. C’est donc ce seul doute, confiné au champ des croyances qu’il a pour mission de débusquer, qu’intègre la foi, ce à quoi Kierkegaard aurait peut-être acquiescé. Cette hypothèse se confirme lorsque Jacques Ellul se réfère de nouveau à Kierkegaard, pour affirmer que si ma foi n’est pas celle d’Abraham, elle n’est rien : la foi qui, au prix du doute, détruit mes croyances, me conduit à reconnaître mon incrédulité[73] : « Si nous avons déjà reconnu à la suite de Kierkegaard l’impossibilité de croire, de la foi, qui ne peut être moindre que celle d’Abraham, et que nous ne pouvons radicalement pas vivre telle, alors la foi est d’accepter justement cette impossibilité de la foi »[74]. Cette nouvelle définition de la foi rencontre aisément celle de Kierkegaard, comme « passion suprême de la subjectivité »[75].

L’ESPÉRANCE

Dans L’espérance oubliée, Jacques Ellul distingue nettement « l’espoir », entendu comme la passion des possibles, et « l’espérance », comme la passion de l’impossible. L’espoir n’a de sens que lorsqu’il y a une issue possible, le recours à l’espérance, au contraire, n’intervient que lorsque le pire est tenu pour certain[76]. Or, Kierkegaard avait défini « l’espérance » comme « la passion des possibles ». Jacques Ellul dissipe le malentendu en rappelant que cette expression se trouve dans la première partie de L’Alternative, qui rend compte de la position esthétique et non point de la démarche éthique, encore moins de l’expression de la foi chrétienne. D’ailleurs, dans l’« Ultimatum » qui clôt L’Alternative[77], Kierkegaard démontre que faire tout son possible est exactement l’inverse de la foi. Et il indique, sans employer pour autant cette formule, que la foi en Jésus-Christ suppose la passion de l’impossible. Cette position se trouve confirmée dans l’« Éloge d’Abraham » de Crainte et tremblement : « L’un fut grand dans l’espoir qui attend le possible, un autre dans l’espoir des choses éternelles ; mais celui qui voulut attendre l’impossible fut le plus grand de tous »[78]. Ainsi, Jacques Ellul rectifie la réception de l’œuvre de Kierkegaard, réinterprète celle-ci, et s’en inspire pour sa propre clarification conceptuelle entre les catégories d’« espoir » et d’« espérance ».

L’AMOUR

Plus audacieux sans aucun doute que les rapprochements explicites entre nos deux auteurs au sujet de la foi et de l’espérance, un parallèle peut être osé entre deux textes consacrés à l’amour. Dans la seconde partie de L’Alternative, Kierkegaard propose un long développement sur « La valeur esthétique du mariage »[79] : l’éthicien B cherche à convaincre l’esthéticien A que les second et troisième stades (éthique et religieux) n’abolissent nullement le premier (esthétique). Dans le mariage, en effet, le sensible, loin d’être renié, se trouve ennobli. Une vie de couple n’a rien de monotone, elle magnifie au contraire l’amour en l’inscrivant dans le temps : la fidélité est en définitive la meilleure amie de l’amour.

Ce plaidoyer en faveur du mariage trouve de singuliers échos dans le chapitre 7 de Ce que je crois, que Jacques Ellul a intitulé : « L’amour pour une vie »[80]. Ce sont les métamorphoses successives de l’amour au sein du couple qui se trouvent décrites avec force convictions : la longue marche de l’amour vers l’amour traverse les quatre phases que sont la fusion passionnelle, la responsabilité, la reconnaissance, et enfin l’unité[81]. L’amour conjugal est par ailleurs, chez Jacques Ellul, intimement lié à la liberté, puisqu’il naît « dans la rencontre de deux libertés »[82]. Le mariage n’est donc nullement une contrainte, mais bien plutôt la condition même du véritable amour[83].

LA PRIÈRE

Dans l’ouvrage qu’il consacre à la prière, Jacques Ellul reconnaît à nouveau sa dette envers Kierkegaard[84], qu’il cite longuement : « La simple dévotion croit et se figure que le principal dans ses prières, c’est que Dieu entende ce qu’elle lui demande. Et pourtant au sens éternel de la vérité, c’est juste l’inverse : dans le vrai rapport de la prière, ce n’est pas Dieu qui entend ce qu’on lui demande, c’est l’orant qui continue de prier jusqu’à être lui-même l’entendeur, jusqu’à entendre ce que veut Dieu. Le dévot simple a besoin de beaucoup de mots, et c’est pourquoi le fond de ses prières n’est qu’exigences ; la vraie prière ne fait qu’entendre »[85]. Jacques Ellul assume la théorie kierkegaardienne de la prière en tant que simple écoute, et il la transpose dans le contexte de la société technicienne : à l’encontre de la prière instrumentale conçue comme une technique efficace, ou délaissée parce qu’inefficace, il plaide en faveur d’une redécouverte de l’écoute dans une culture du bruit qui ne sait plus écouter[86].

Mais la prière est aussi un combat. Et pour étayer cette nouvelle acception, Jacques Ellul convoque à nouveau Kierkegaard : « La vraie prière est une lutte avec Dieu où l’on triomphe par le triomphe de Dieu »[87]. Jacques Ellul déplace néanmoins légèrement l’approche de la prière comme combat : sur le double modèle de la lutte de Jacob avec l’ange, et de la plainte de Job, au temps de la déréliction qui est le nôtre, prier consiste à lutter contre Dieu pour le contraindre à sortir de son silence et à tenir sa Parole. La prière revient en fin de compte à en appeler à Dieu contre Dieu[88].

LA LIBERTÉ

La trilogie ellulienne consacrée à l’éthique[89] se nourrit de part en part de l’œuvre de Kierkegaard. Dans Le Vouloir et le Faire, ouvrage destiné à poser les bases d’une éthique chrétienne, Jacques Ellul reprend la notion de « suspension téléologique de l’éthique » : « Kierkegaard a tout particulièrement insisté sur le fait que l’appel que Dieu adresse personnellement à un homme produit une suspension de l’ordre éthique dans lequel il vit normalement. La vocation que Dieu formule pour cet individu peut n’entrer dans aucun cadre moral. Cela ne veut pas dire qu’il y a abolition objective, collective de l’ordre des valeurs ; cet ordre subsiste dans ce groupe, pour ces individus qui n’ont pas entendu l’exigence de Dieu, et celui qui a reçu l’appel ne peut parler d’une suppression de cette hiérarchie et de ces conduites, mais pour lui, la rupture est consommée par l’intervention de Dieu, à l’égard de toute morale, fût-elle chrétienne »[90]. La référence à Crainte et tremblement est évidente. À partir de l’exemple d’Abraham, Kierkegaard y montrait que la foi se situe au-delà de la sphère de l’éthique, et qu’elle est elle-même indépassable : aux yeux de la morale universelle, Abraham est un quelconque meurtrier, au même titre que Caïn, alors qu’il aime son fils Isaac ; mais aux yeux de la foi particulière, celle du rapport unique et irréductible d’un Individu singulier avec le Dieu vivant, il est un croyant exemplaire. La foi est ce paradoxe, inaccessible à la pensée, pour lequel l’Individu est plus haut que le général, parce qu’il est en rapport absolu avec l’absolu[91]. Ce modèle du « chevalier de la foi » qu’est Abraham conduit Jacques Ellul à identifier le bien avec la volonté de Dieu, au-delà de tous les systèmes de valeurs et de toutes les normes éthiques que les hommes construisent pour vivre ensemble[92].

C’est pour cette raison que l’éthique de la liberté ne peut être qu’individuelle : « Je suis proche de la pensée de Kierkegaard concernant l’individu », précise Ellul[93], avant de le citer : « Le Christ s’adresse aux hommes, les invite tous en disant à chacun en particulier : veux-tu être sauvé ? Aujourd’hui par contre, on a fabriqué un dogme de non-sens qui prétend que le Christ sauve l’espèce humaine. Ce sont des balivernes. Le Christ l’eût-il voulu, ne le pourrait pas. Car l’espèce est précisément la catégorie de la perdition – et le salut, c’est précisément sortir de l’espèce… »[94]. Comment donc concilier l’accueil bienveillant fait à ce texte de Kierkegaard, et la foi d’Ellul au salut universel, développée plus tard dans Ce que je crois[95] ? Sans doute faut-il en chercher la clef dans la tension dialectique entre le « tous » de la promesse et le « chacun » de la réponse, ainsi qu’entre la « liberté » du chrétien dès aujourd’hui et le « salut » de toute l’humanité aux derniers temps. Il n’empêche qu’en l’occurrence, le principe de l’apocatastase est bien plutôt d’inspiration barthienne que kierkegaardienne.

Enfin, en épigraphe des Combats de la liberté, Jacques Ellul cite un passage de L’instant : « La différence entre un génie et un chrétien est la suivante : le génie est l’extraordinaire de la Nature. Nul homme ne peut faire de lui-même un génie. Un chrétien est l’extraordinaire de la Liberté. Ou mieux : son ordinaire ! Sauf qu’il est extraordinairement rare mais qu’il est ce que chacun de nous devrait être… »[96]. Le statut d’une épigraphe ne doit pas être minoré : il s’agit d’un acte de gratitude envers un auteur qui a su exprimer ce que l’on n’aurait pas su mieux dire. Kierkegaard et Ellul sont donc en plein accord pour reconnaître dans la véritable liberté l’apanage du chrétien.

LA POLITIQUE

Le rapport de Kierkegaard et de Jacques Ellul à la politique s’exprime par une commune méfiance. En 1848, alors que l’Europe est agitée par la tourmente révolutionnaire, Kierkegaard écrit à un professeur de droit de Copenhague. Il compare le mouvement religieux aux mouvements politiques : ceux-ci ne sont que tourbillons, car ils cherchent un point fixe en avant de soi, vers lequel se diriger, tandis que le mouvement religieux marche à partir d’un point fixe en arrière de soi. C’est aussi ce qui distinguait les Sophistes de Socrate. L’Individu Singulier sait concilier le mouvement et l’ordre, parce qu’il part lui-même d’un point fixe où il a jeté l’ancre en arrière de lui-même[97].

Jacques Ellul a une petite expérience politique : à la Libération, il a été adjoint au maire de Bordeaux pendant six mois[98]. Il prendra alors conscience de « l’illusion politique, à laquelle il consacrera un livre portant ce titre, sacrilège à l’époque du « tout politique »[99] : double illusion, car l’homme politique est impuissant face à l’appareil étatique qui monte les dossiers en amont et applique les décisions en aval, et le citoyen croit pouvoir contrôler la politique en contrôlant des élus qui n’ont aucun pouvoir. Lui-même, à son échelle, devait signer trente lettres par jour sur des questions qu’il ne maîtrisait pas, et dont la décision était orientée par les rapports des cabinets des techniciens ; on peut donc imaginer la situation d’un ministre du gouvernement qui doit signer trois cents lettres par jour ![100] Jacques Ellul ne s’est pas contenté de se retirer de la vie politique, il a alors décidé de ne plus jamais voter de sa vie[101].

Dans un des derniers livres qu’il a publiés, Anarchie et christianisme[102], Jacques Ellul indique les profondes affinités entre les deux mouvements que l’on a toujours eu tendance à opposer. Il présente la Bible comme un livre qui condamne maintes fois le pouvoir en tant que puissance satanique (notamment en 1 Samuel 8, mais aussi dans les paroles de Jésus et dans l’Apocalypse). Chrétiens et anarchistes mènent donc un même combat, et auraient avantage à mieux se connaître, sans confusion ni illusion, en gardant présents à l’esprit ce qui les rassemble (la méfiance à l’égard du pouvoir) et ce qui les sépare (la foi des chrétiens en Dieu et en Jésus-Christ, et l’évaluation différente de la nature humaine). En effet, Jacques Ellul, quoique se disant anarchiste, ne pense pas qu’une société anarchiste soit possible, car selon l’anthropologie chrétienne l’homme n’est pas naturellement bon. Il se réfère néanmoins à quelques autres anarchistes chrétiens, parmi lesquels Kierkegaard, qui ne se laissa prendre au piège par aucun pouvoir. Le mot « anarchiste » n’existait pas à son époque, mais de très nombreux textes du penseur danois le révèlent comme tel. Et Jacques Ellul de le citer : « Rien, rien, aucune erreur, aucun crime n’est aussi horrible devant Dieu que ceux qui sont le fait du pouvoir. Et pourquoi ? parce que ce qui est « officiel » est impersonnel, et à cause de cela, c’est la plus profonde insulte qui puisse être faite à une personne »[103]. Jacques Ellul affirme que Kierkegaard attaquait l’Église plus violemment que les anarchistes[104], et avant d’expliquer les fondements du christianisme à ses lecteurs libertaires, il déclare que le Dieu de Jésus-Christ n’est pas un dieu d’aliénation mais un Dieu libre, puisque, comme le dit Kierkegaard, « Il est avant tout l’Inconditionné »[105]. Patrick Chastenet en conclura que Jacques Ellul a lu l’oeuvre de Kierkegaard « dans une perspective libertaire »[106].

LA TECHNIQUE

Même la trilogie ellulienne consacrée à la société technicienne[107], propre au contexte de la seconde moitié du XXe siècle, se réfère implicitement et explicitement à Kierkegaard. Dans La technique ou l’enjeu du siècle, notre auteur met en tension Marx et Kierkegaard au sujet de la technique : au cours de la révolution industrielle, l’ensemble de la société s’est convertie aux bienfaits du confort matériel, et Marx a été le premier à réconcilier les ouvriers et la technique en leur faisant admettre cette idée que la technique est libératrice. Seul Kierkegaard lance un avertissement lucide contre la technique, « mais son avis, fortement pensé et, au sens le plus fort, prophétique, n’a pas été entendu pour de bien autres raisons. Il avait trop à faire avec la vérité »[108]. Ellul convoque ensuite la catégorie pascalienne de « divertissement », pour rendre compte de cette évasion que la technique permet et promeut face au désespoir qu’elle génère elle-même : « merveilleuse organisation qui prévoit le contrepoison là où elle distille le poison »[109]. L’homme a peur de se retrouver lui-même, il fuit donc son fantôme et la vacuité de sa vie dans la distraction. Les vacances sont organisées pour qu’il ne se retrouve pas en face de lui-même. Même s’il n’est pas nommé, Kierkegaard apparaît ici en filigrane comme digne héritier de Pascal : on retrouve entre les lignes sa description du stade « esthétique », et l’illustration de la fuite de soi-même à travers les trois figures de Don Juan (qui court de conquête en conquête), de Faust (qui saute d’une idée à l’autre) et d’Ahasvérus (traqué de lieu en lieu)[110]. Jacques Ellul prend néanmoins soin de distinguer ce divertissement technique du concept de Pascal, « car il s’agit moins d’éviter la situation de l’homme éternel que d’éviter le conflit entre l’homme et sa situation dans le monde présent. Ce n’est plus la méditation des deux infinis, dont fort peu d’hommes sont capables, qu’il faut voiler, mais l’absurdité de la vie, évidente, hurlante, que la technique nous fait »[111]. Le rapprochement entre le stade « esthétique » de Kierkegaard, et la description de cette fuite de la technique par la technique, tombe bien entendu sous le coup du même discernement critique.

Dans Le bluff technologique, Jacques Ellul reprend la notion pascalienne de « divertissement » au sujet de la situation de l’homme dans la société technicienne : détourné de penser à soi-même, à sa condition humaine, au sens de sa vie, l’homme vit dans un monde totalement falsifié[112]. Mais Ellul se réfère directement à Kierkegaard par le recours à la catégorie de « l’Intéressant » : la télévision, en effet, induit une déréalisation générale, c’est-à-dire une « confusion du monde vivant avec le monde montré »[113]. Kierkegaard définissait « l’Intéressant » comme ce qui était dépourvu de sérieux et de toute signification existentielle, et il qualifiait ce concept de « catégorie limite, aux confins de l’esthétique et de l’éthique »[114]. Notons que Jacques Ellul convoque cette même notion pour désigner une toute autre réalité : la théologie et l’exégèse matérialistes, d’inspiration marxiste, qui se disent sérieuses car scientifiques, alors qu’il s’agit plutôt d’une forme de dilettantisme, « et l’on se retrouve uniquement dans la catégorie kierkegaardienne de l’« intéressant », qui se situe au plus bas de l’échelle intellectuelle ! »[115] Jacques Ellul n’hésite donc pas à s’approprier le concept, et à le transposer vers de nouveaux champs auxquels Kierkegaard ne pouvait évidemment songer. Un tel transfert ne souffre ici aucune réticence, contrairement au maniement de la catégorie pascalienne de « divertissement ».

Jacques Ellul se réfère enfin à Kierkegaard à propos de la dialectique entre nécessité et liberté dans la société technicienne. Lorsqu’on occulte le nécessaire derrière le possible, alors que la réalité est la synthèse de ces deux pôles, l’homme moderne sombre dans le désespoir de la possibilité sans aucune nécessité, ce qui est l’une des causes de son angoisse infinie : citant Kierkegaard[116], Jacques Ellul affirme que « l’individu est complètement devenu un mirage à ses propres yeux ! »[117] Au contraire, « c’est lorsqu’il reconnaît sa non-liberté qu’alors il atteste par là sa liberté ! »[118]

LA NON-CONFORMITÉ AU MONDE

Dès ses premiers écrits, Jacques Ellul soutient la thèse kierkegaardienne d’une rupture entre le christianisme et la culture mondaine : moraliser ou christianiser les actions du monde, faire des institutions chrétiennes, un État chrétien, une politique chrétienne, ce serait badigeonner le diable en doré pour qu’il devienne un ange[119]. La véritable révolution consisterait à transformer radicalement le style de vie des chrétiens. Or, pour l’instant, ceux-ci sont plutôt « bon fils, bon mari, bon patron, bon ouvrier – bon comme le bon pain, dirait Aragon – ils ont beaucoup de vertus individuelles, mais ils n’ont aucun style de vie, ou plutôt ils ont exactement celui qui leur est imposé par les conditions sociologiques »[120]. Jacques Ellul se refuse cependant à décrire le style de vie fidèle à l’Évangile, sous peine d’en faire une nouvelle loi[121].

Bien qu’implicite, la présence de Kierkegaard est criante dans cette posture anticonformiste. Dans ses tout derniers textes, le penseur danois radicalisait sa polémique à l’égard de la société « chrétienne » de son temps : « L’idée du christianisme fut de tout changer. Le résultat, le christianisme de « la chrétienté », c’est que tout, absolument tout, est resté le même, sauf que tout a pris le nom de « chrétien » »[122]. La société danoise du XIXè siècle est devenue « chrétienne » dans son intégralité : y compris, ironise Kierkegaard, les libres-penseurs[123], y compris même les animaux domestiques et leur progéniture[124], y compris les institutions païennes qui se trouvent affublées de l’étiquette de « chrétiennes », à l’instar des bordels « chrétiens »[125], de la fraude « chrétienne »[126], des vanités et des honneurs « chrétiens »[127]. Kierkegaard dénonce sans ambiguïté l’hypocrisie de la « chrétienté » païenne, dont le caractère chrétien n’est au mieux qu’un vernis, au pire une usurpation de titre : « Le changement du paganisme consiste en ce que tout est resté le même, mais en prenant le nom de chrétien »[128]. Or, si « on a réussi à identifier être chrétien avec être homme »[129], si donc nous sommes tous chrétiens, c’est que personne ne l’est : le concept est vidé, « supprimé »[130]. Il en irait de même avec la notion de vol si tous les hommes étaient voleurs…[131] Bien que Kierkegaard se trouve face à la réalité d’une Église d’État, et Jacques Ellul devant une idéologie chrétienne évanescente dans un pays laïc et sécularisé, leurs analyses dégagent trop d’affinités pour en conclure à une coïncidence. L’inspiration kierkegaardienne de la critique de l’idéologie chrétienne chez Jacques Ellul va bientôt se confirmer, mais aussi donner lieu à des réinterprétations.

Le premier déplacement se manifeste dans Les nouveaux possédés[132]. Cet ouvrage vise à déconstruire la thèse de la sécularisation, pour montrer que le religieux est toujours vivace, même s’il n’est plus chrétien. Jacques Ellul commence donc par un plaidoyer en faveur de la chrétienté : au Moyen Âge, « la chrétienté a eu tout un ensemble d’effets positifs indéniables »[133]. Et d’énumérer : la suppression de l’esclavage, la protection des faibles, les interventions en faveur de la paix, la fixation juridique…[134] La chrétienté est un régime où l’on tente de mettre en pratique collectivement la foi chrétienne : on risque évidemment de se salir les mains, mais cela est nécessaire et légitime, à cause de l’Incarnation et du fait que Jésus-Christ est Seigneur universel de l’Histoire[135]. La chrétienté a donc créé une « morale sociale » répondant à tous les problèmes, elle a modifié la société en l’enracinant dans la foi chrétienne, et le christianisme est ainsi devenu idéologie, présupposé collectif, évidence commune, puisque tout le monde était chrétien. Mais cette moralisation de la société était légitime dans une situation de forte corruption des moeurs[136]. Jacques Ellul va jusqu’à faire l’apologie de la confusion entre foi et religion, puisque c’était la seule façon de s’inscrire dans la durée[137]. Notre auteur semble donc s’éloigner considérablement de sa source kierkegaardienne. En réalité, le déplacement qu’il opère lui permet de stigmatiser la post-chrétienté, en défendant la chrétienté, avec les mêmes griefs et les mêmes arguments que Kierkegaard : les hommes se sont éloignés de la révélation, et vivent dans le conformisme le plus complet, tandis que la foi et la liberté chrétiennes exhortent au sursaut.

Un second déplacement se produit avec La subversion du christianisme[138]. L’ouvrage commence par une longue épigraphe tirée de L’instant : « Toute la chrétienté (c’est-à-dire le christianisme historique tel qu’il s’est imposé) n’est autre chose que l’effort du genre humain pour retomber sur ses quatre pattes, pour se débarrasser du christianisme, en prétendant que c’est son accomplissement. Notre christianisme, celui de la chrétienté, supprime du christianisme le scandale, le paradoxe, la souffrance et y substitue le probable, le direct, le bonheur, autrement dit, il dénature le christianisme et en fait autre chose que ce qu’il est dans le Nouveau Testament ; il le transforme même exactement en son contraire : et tel est le christianisme de la chrétienté. Le nôtre. Dans le christianisme de la chrétienté, la croix est devenue quelque chose comme le cheval mécanique ou la trompette d’un enfant »[139].

Sous la plume de Kierkegaard, le « christianisme » (« Christendom ») désigne généralement la vie et les paroles du Christ telles qu’elles sont attestées par le Nouveau Testament, et la « chrétienté » (« Christenhed ») le christianisme officiel et mondanisé, perverti en religion d’État. Ces deux catégories se donnent pour foncièrement hétérogènes. Cependant, Kierkegaard parle aussi du « christianisme de la chrétienté », par opposition au « christianisme du Nouveau Testament », c’est-à-dire à la « christianité » (« Christelige »). Le vocable de « christianisme » s’avère donc foncièrement ambivalent. Le « christianisme de la chrétienté » prétend frauduleusement s’identifier avec le « christianisme » comme « christianité ». Quant à Jacques Ellul, il préfère assimiler le « christianisme » à la « chrétienté », à cause du suffixe en « –isme » qui évoque une idéologie, et désigner le véritable « christianisme » (la « christianité » de Kierkegaard) par la simple lettre « X ». Il s’agit d’une abréviation commode pour condenser une longue formule triple : « d’une part la Révélation et l’œuvre de Dieu accomplies en Jésus-Christ, en second lieu, l’Être vrai de l’Église en tant que corps du Christ, en troisième lieu, la foi et la vie du chrétien, dans la vérité et dans l’amour »[140]. Le « christianisme » est donc « le mouvement idéologique et sociologique qui est la perversion du X »[141].

Or, le X est par nature subversif et révolutionnaire, tandis que le christianisme est antisubversif et conservateur. Le X est hostile aux pouvoirs, à l’argent, à la violence, à la morale, aux cultures et aux religions, tandis que le christianisme est devenu une religion, doublée d’une morale infantilisante, et d’un conservatisme politique, économique et social. Cette trahison du X est en quelque sorte un renversement du renversement, une subversion de la subversion…[142]. Le facteur essentiel de ce processus a été le succès numérique du X : à force de prospérer, il a décliné. Jacques Ellul cite alors longuement Kierkegaard : « L’État se rapporte directement au nombre : quand un État dépérit, le nombre décroît et l’État disparaît : son concept se vide. Le christianisme se rapporte au nombre autrement : un seul vrai chrétien suffit à lui donner réalité. Et même le christianisme est en raison inverse du nombre. Quand tous sont devenus chrétiens, le concept de chrétien est vidé. C’est en effet un concept polémique : on ne peut être chrétien qu’en étant en opposition, en prenant une conduite d’opposition (…). L’opposition supprimée, il n’y a plus de sens à se dire chrétien. La chrétienté a astucieusement aboli le christianisme, du fait que nous sommes tous chrétiens. Le concept de « chrétien » est donc en raison inverse du nombre, et celui de l’État en raison directe : néanmoins, on les a amalgamés, pour le plus grand avantage du galimatias et des prêtres (…). Dans la chrétienté, on n’a pas la moindre idée de ce qu’est le christianisme, on ne saurait s’aviser ou comprendre que le christianisme a été aboli par sa propagation »[143].

Jacques Ellul décline ensuite les différents domaines de la subversion. La conversion de Constantin a subverti le X par la politique : la rançon de son succès a été sa mise en conformité avec la société qu’il aurait dû subvertir. De fait, l’enrichissement de l’Église l’a transformée en institution sclérosée. Jésus avait enseigné la vie en communauté de frères et sœurs, mais la masse ne peut être organisée sur le mode communautaire. Lorsque la société entière devient chrétienne, il faut instituer une morale, et le baptême d’enfants suffit à sanctionner l’entrée dans l’Église. Ne pouvant évaluer la foi, on évalue les mœurs. Ainsi la Révélation est subvertie pour la rendre acceptable par tous. Alors que la pensée biblique avait désacralisé tout ce qui n’est pas Dieu, la victoire du christianisme sur le paganisme a eu pour effet le transfert sur le vainqueur de ce qui appartenait au vaincu : la re-sacralisation de la nature et de la société, des lieux et des temps, des prêtres et des objets, des rites et des sacrements. Aujourd’hui, le christianisme est réduit à une morale et à des fêtes. Or la Révélation de Dieu n’a absolument rien à faire avec une morale, elle est même une antimorale. L’enseignement de Jésus est existentiel et non moral, c’est pourquoi il attaque les pharisiens, et c’est pourquoi tous les gens moraux le condamnent. Jésus a substitué l’amour à la loi : la relation à l’autre n’est pas une relation de devoir mais d’amour. Alors que Paul dit que le mari doit donner sa vie pour sa femme, le christianisme est devenu un antiféminisme virulent, ce qui est un contresens total : les théologiens les plus préoccupés par la morale sont les plus antiféministes. L’Église a choisi l’esprit de contrainte et de domination et a rejeté l’Évangile, c’est pourquoi elle a éliminé la femme, notamment par le célibat des prêtres. La Révélation est donc subvertie en morale[144].

Jacques Ellul retrouve donc des accents kierkegaardiens pour stigmatiser le christianisme perverti. Il cite à nouveau le penseur danois pour soulever la contradiction qui oppose le vrai christianisme à l’homme naturel : « Ce que le Nouveau Testament entend par christianisme et être chrétien – et il n’en fait aucun mystère, il le souligne au contraire de la plus expresse façon - est justement ce qu’il y a de plus contraire à l’homme naturel ; c’est pour lui un scandale ; c’est ou bien ce contre quoi il doit se révolter dans le défi et la passion sauvage, ou bien ce dont il doit chercher à se débarrasser par ruse et à tout prix, par exemple grâce à cette friponnerie qui consiste à appeler christianisme exactement son contraire, puis à rendre grâces à Dieu de ce christianisme et de la faveur immense, inappréciable, d’être chrétien »[145]. La Révélation est en effet un scandale intolérable, non seulement intellectuellement mais socialement : sitôt que le christianisme est pris au sérieux, il devient impossible de faire fonctionner une société. Mais l’Évangile n’est pas seulement insupportable pour la vie sociale, il ne peut être toléré par la cœur de l’homme : la grâce détruit les fondements du psychisme humain. L’homme a besoin de religiosité, de sacralisation, d’autojustification, de sacrifices, d’autonomie, de maîtrise de son salut, de certitudes, de stabilité, de sécurité… Comme les Hébreux au désert, il préfère tout subir plutôt que d’accéder à la liberté. Telle est la source fondamentale de la subversion du christianisme[146].

Jacques Ellul est-il donc revenu aux positions critiques de Kierkegaard, dont Les nouveaux possédés semblaient l’avoir éloigné ? La suite du texte paraît le confirmer, tout en opérant un ultime déplacement. Car malgré tout cela, la Révélation trahie continue à se transmettre et à inspirer et à transformer des vies. Dieu a posé des limites à la subversion de sa Révélation. Et lorsque la Parole de Dieu se fait à nouveau entendre, se produit une transgression de la transgression, ou plus exactement une subversion de la subversion de la subversion… Car la subversion porte immanquablement en elle-même sa propre subversion. Donc rien n’est jamais clos ni perdu : « le christianisme ne l’emporte jamais décisivement sur Christ »[147].

Or, ce qui prouve le maintien de l’Église de Jésus-Christ à travers ses errances, c’est que périodiquement surgissent des théologiens qui reviennent à la vérité de l’Évangile. Et parmi eux : Kierkegaard ![148] L’œuvre de Kierkegaard est donc comprise par Jacques Ellul comme un signe de la permanence de l’X ! Ainsi se révèle l’une des modalités inattendues de sa réception : l’intégration de sa vie et de son œuvre historique à l’intérieur même de sa pensée et de son œuvre écrite, réinterprétées et assumées. L’existence de l’homme Kierkegaard devient chez Jacques Ellul l’un des lieux décisifs de sa pensée de l’existence.

LA SOUFFRANCE

Comme on le voit, malgré l’aveu d’une absence de « distance critique » à l’endroit de la pensée kierkegaardienne, qu’il n’est par conséquent pas en mesure de « discuter »[149], Jacques Ellul s’en dissocie néanmoins parfois, soit explicitement en faisant état de divergences réelles, soit en s’appuyant sur elle pour la prolonger et l’enrichir. C’est ainsi qu’il connaîtra une autre sensible évolution sur le thème de la souffrance. Dans son Éthique de la liberté, il cite L’Évangile des souffrances[150] de Kierkegaard : « Il est étrange que le bien le plus recherché dans le monde soit l’indépendance et que presque personne ne prenne la seule voie y conduisant vraiment : celle des souffrances »[151]. Le commentaire d’Ellul s’apparente à un vibrant plaidoyer : « Le bonheur, le refus de la souffrance élimine non seulement la liberté mais aussi la simple indépendance cherchée par l’homme. Car la voie de l’indépendance est celle de la souffrance… ! »[152]. Le bonheur et la liberté varient donc en raison inverse l’un de l’autre, tandis qu’un lien indissoluble associe souffrance et joie. Et Jacques Ellul de reprendre sans aucune critique quelques-uns des titres des parties de L’Évangile des souffrances[153] : « III- La joie c’est que l’école des souffrances nous forme pour l’Éternité. IV- La joie, c’est que devant Dieu, l’homme souffre toujours comme coupable. V- La joie, ce n’est pas le chemin, qui est resserré, mais c’est que l’affliction soit le chemin. VI- La joie, c’est que, même quand la souffrance temporelle est la plus lourde, la félicité de l’éternité l’emporte cependant. VII- La joie, c’est que le franc courage est capable, au sein de la souffrance, de retirer du monde sa puissance, et qu’il a lui-même le pouvoir de changer la honte en gloire, et la défaite en victoire »[154]. Une telle énumération d’énoncés assertoriques vaut acquiescement.

Vingt ans plus tard, dans son essai consacré aux souffrances et tentations de Jésus, Si tu es le Fils de Dieu, Jacques Ellul conteste toute « théologie de la souffrance » : « L’Évangile des souffrances de Kierkegaard est un de ses rares livres auxquels je n’apporte pas une pleine adhésion »[155]. Notre auteur considère toute velléité de souffrance comme morbide, et toute mortification comme antichrétienne. Car nos souffrances ne sont pas méritoires pour le salut, d’autant que ce ne sont même pas celles de Jésus qui seraient rédemptrices, mais bien sa mort. Tout le livre montre à quel point Jésus a souffert : il a connu toutes les souffrances des hommes, multiples et permanentes, mais puisqu’il a pris sur lui toute la condamnation qui nous revenait, nos souffrances s’avèrent de fait nues et absurdes ; elles ne sont ni rétributives, ni pédagogiques, ni cathartiques ; nos souffrances ne résultent que d’un pur jeu de forces matérielles, et nous avons à les vivre ainsi sans les cultiver[156]. Il n’est cependant pas certain que Jacques Ellul ait évité un contresens classique au sujet de Kierkegaard : la souffrance n’est chez lui nullement salutaire, et L’Évangile des souffrances est tout sauf un traité de sotériologie. Kierkegaard se contente de constater, comme le relevait l’Éthique de la liberté, que la souffrance mêlée de joie est le passage obligé du « devenir chrétien ». Jacques Ellul nuance néanmoins quelque peu son propos : si la souffrance nous apprend la présence de Dieu, alors « là peut être l’Évangile des souffrances »[157]. Cette correction du correctif rend la relation d’Ellul à Kierkegaard plus complexe qu’il n’y paraît au premier regard.

CONCLUSION : QU’EST-CE QU’ÊTRE KIERKEGAARDIEN ?

Nous avons rencontré en Jacques Ellul un kierkegaardien presque inconditionnel. À travers citations, références et allusions, explicitement et implicitement, l’œuvre de notre auteur exprime de façon récurrente sa dette intellectuelle et spirituelle envers la pensée du Danois. Il n’hésite cependant pas à transposer librement les catégories de Kierkegaard dans des champs d’analyse que ce dernier n’avait pas voulu ou pas pu explorer : la société technicienne, l’exégèse moderne, la post-chrétienté... Et malgré ses démentis, il infléchit également son allégeance sur certaines questions, telle que la souffrance.

À travers ce cas d’école, nous pouvons nous poser la question qui intéresse tous les historiens de la réception d’une œuvre : qu’est-ce qu’être fidèle à un auteur ? En l’occurrence, qu’est-ce qu’être kierkegaardien ? À l’évidence, Jacques Ellul lui-même aurait répondu à cette question ce qu’il a répondu au sujet de la fidélité à sa propre œuvre : être fidèle, c’est lire l’ensemble de l’œuvre, se nourrir ainsi de la pensée de l’autre, la ruminer et la digérer, afin de pouvoir ensuite la trahir pour aller au-delà, pour construire sa propre pensée[158]. Être kierkegaardien, pour Jacques Ellul comme pour nous, de même qu’être ellulien, c’est faire preuve d’une infidèle fidélité : « C’est donc effectivement en me trahissant qu’on me reste le plus fidèle »[159].


[1] Cet article reprend les grandes lignes d’un chapitre de l’ouvrage de Frédéric Rognon : Jacques Ellul. Une pensée en dialogue, Genève, Labor et Fides (coll. Le Champ éthique, n°48), 2007, p. 169-209.

[2] Même l’ouvrage quasi-exhaustif qu’Hélène Politis a consacré à l’histoire de la réception de Kierkegaard en France ne le mentionne que très marginalement, dans une note concernant le livre de Nelly Viallaneix, Écoute, Kierkegaard. Essai sur la communication de la parole (2 tomes, Paris, Cerf, 1979) que Jacques Ellul a préfacé (cf. Hélène Politis, Kierkegaard en France au XXè siècle : archéologie d’une réception, Paris, Éditions Kimé, 2005, p. 245, n. 21). Seul Vernard Eller a rapproché les deux auteurs dans sa contribution à un ouvrage collectif sur l’œuvre de Jacques Ellul (cf. Vernard Eller, « Ellul and Kierkegaard : closer than brothers », in Clifford G. Christians and Jay M. Van Hook ed., Jacques Ellul : interpretive essays, University of Illinois Press, Urbana-Chicago-London, 1981, p. 52-66). Cette recherche s’arrête cependant en 1981, soit avant les écrits de la dernière période de Jacques Ellul, notamment La foi au prix du doute (1980), dont la traduction anglaise ne date que de 1983 (Living faith : belief and doubt in a perilous world, San Francisco, Harper and Row, 1983), La subversion du christianisme (1984), et La raison d’être (1987), dont la tonalité kierkegaardienne est la plus affirmée.

[3] Cf. Jacques Ellul et Didier Nordon, L’homme à lui-même : correspondance, Paris, Éditions du Félin (Vifs), 1992, p. 23.

[4] Nous reprenons là les expressions de Vernard Eller : cf. Vernard Eller, op. cit., p. 52.

[5] Patrick Chastenet, Entretiens avec Jacques Ellul, Paris, La Table ronde, 1994, p. 89-90.

[6] Ibid., p. 14.

[7] Ibid., p. 178 ; cf. Jacques Ellul, La raison d’être. Méditation sur l’Ecclésiaste (1987), Paris, Éditions du Seuil (Points Sagesses), 2007, p. 241, 286 ; Ce Dieu injuste…? Théologie chrétienne pour le peuple d’Israël, Paris, Arléa-Poche, 1991, p. 58.

[8] Nelly Viallaneix, op. cit., tome 1, p. II-III.

[9] Cf. Jacques Ellul, À temps et à contre-temps. Entretiens avec Madeleine Garrigou-Lagrange, Paris, Le Centurion (Les interviews), 1981, p. 20.

[10] Cf. Karl Barth, L’épître aux Romains, Genève, Labor et Fides, 1972, p. 17.

[11] Cf. Patrick Chastenet, op. cit., p. 82.

[12] Cf. Vernard Eller, op. cit., p. 55.

[13] Même un livre consacré à la haine de soi en Occident, en particulier dans les milieux tiers-mondistes, thématique apparemment fort éloignée des centres d’intérêt de Kierkegaard, pour d’évidentes raisons d’anachronisme, emprunte au penseur danois la célèbre expression « Coupable non coupable » pour le titre d’une de ses parties : cf. Jacques Ellul, Trahison de l’Occident (1975), Pau, Princi Negue Editor, 2003, p. 10 ; Søren Kierkegaard, « Stades sur le chemin de la vie », OC IX, Paris, Éditions de l’Orante, 1978, p. 171.

[14] Søren Kierkegaard, « Point de vue explicatif de mon œuvre d’écrivain », OC XVI, Paris, Éditions de l’Orante, 1971, p. 14.

[15] Cf. Jacques Ellul, À temps et à contre-temps, op. cit., p. 67-68, 161-162.

[16] Cf. Jacques Ellul, Politique de Dieu, politiques des hommes, Paris, Éditions Universitaires (Nouvelle alliance), 1966.

[17] Cf. Jacques Ellul, L’illusion politique (1965), Paris, La Table Ronde (La petite Vermillon), 2004.

[18] Cf. Jacques Ellul, Éthique de la liberté, 2 tomes, Genève, Labor et Fides (Nouvelle série théologique n°27+30), 1975.

[19] Cf. Jacques Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle (1954), Paris, Economica (Classiques des Sciences sociales), 1990.

[20] Cf. Jacques Ellul, L’espérance oubliée (1972), Paris, La Table Ronde (Contretemps), 2004.

[21] Cf. Jacques Ellul, Le système technicien (1977), Paris, Le Cherche Midi (Documents), 2004.

[22] Cf. Patrick Chastenet, op. cit., p. 40, 141.

[23] Ibid., p. 41.

[24] Ibid., p. 40.

[25] Jacques Ellul et Didier Nordon, op. cit., p. 144.

[26] Cf. ibid., p. 26-29.

[27] Patrick Chastenet, op. cit, p. 40. Jacques Ellul défend aussi l’éminence du statut du Point de vue explicatif de Kierkegaard, comme faisant pleinement partie de son œuvre : cf. Jacques Ellul et Didier Nordon, op. cit., p. 48.

[28] Nous devons ce qualificatif à Paul Ricoeur : cf. Paul Ricoeur, De l’interprétation. Essai sur Freud, Paris, Le Seuil, 1965, p. 42-46 ; Le conflit des interprétations. Essais d’herméneutique, Paris, Le Seuil, 1969, p. 148-151.

[29] Jacques Ellul, L’espérance oubliée, op. cit., p. 59.

[30] Ibid., p. 58.

[31] Ibid., p. 59.

[32] Ibid.

[33] Ibid.

[34] Jacques Ellul, Éthique de la liberté, op. cit., tome 1, p. 243.

[35] Ibid.

[36] Cf. Vernard Eller, op. cit., p. 54-56.

[37] Cf. Søren Kierkegaard, « Post-scriptum définitif et non scientifique aux Miettes philosophiques », OC X-XI, Paris, Éditions de l’Orante, 1977.

[38] Ibid., vol. 1, p. 14.

[39] Ibid., p. 124.

[40] Ibid., vol. 2, p. 241.

[41] Ibid., p. 242.

[42] Jacques Ellul, Le système technicien (1977), Paris, Le Cherche Midi (Documents), 2004, p. 210.

[43] Cf. Jacques Ellul, Fausse présence au monde moderne, Paris, Les Bergers et les Mages (Tribune libre protestante), 1964, p. 97 ; La subversion du christianisme (1984), Paris, La Table Ronde (La petite Vermillon), 2001, p. 20.

[44] Jacques Ellul, Le Vouloir et le Faire. Recherches éthiques pour les chrétiens, Genève, Labor et Fides (Nouvelle série théologique n°18), 1964, p. 7.

[45] Cf. Søren Kierkegaard, « Crainte et tremblement », OC V, Paris, Éditions de l’Orante, 1972, p. 97-209.

[46] Cf. Søren Kierkegaard, « La répétition », OC V, op. cit., p. 1-96.

[47] Jacques Ellul, Sans feu ni lieu. Signification biblique de la Grande Ville (1975), Paris, La Table Ronde (La petite Vermillon), 2003, p. 17. Sylvain Dujancourt qualifiera donc logiquement ce livre de « méditation spirituelle à la Kierkegaard » (Sylvain Dujancourt, « Actualité éditoriale de Jacques Ellul », in Cahiers Jacques Ellul, n°3 (« L’économie »), Le Bouscat, L’Esprit du Temps, 2005, p. 217).

[48] Cf. Jacques Ellul, La raison d’être. Méditation sur l’Ecclésiaste, op. cit.

[49] Cf. ibid., p. 7, 9.

[50] Ibid., p. 22.

[51] Cf. notamment l’épigraphe de la page 51 (citation de « Diaspalmata » : cf. Søren Kierkegaard, « L’alternative – première partie », OC III, Paris, Éditions de l’Orante, 1970, p. 33-34), la longue citation des pages 152-153 (citation du « Post-scriptum » : cf. Søren Kierkegaard, « Post-scriptum définitif et non scientifique aux Miettes philosophiques », OC XI, op. cit., p. 161-162), ainsi que celle des pages 236-237 (le fameux discours de l’extatique : cf. Søren Kierkegaard, « L’alternative – première partie », OC III , op. cit., p. 39-40).

[52] Cf. ibid., p. 14.

[53] Cf. ibid., p. 24-25.

[54] Ibid., p. 24 ; Søren Kierkegaard, « Sur mon œuvre d’écrivain », OC XVII, Paris, Éditions de l’Orante, 1982, p. 264.

[55] Cf. Jacques Ellul, La raison d’être. Méditation sur l’Ecclésiaste, op. cit., p. 33-40.

[56] Ibid., p. 42.

[57] Ibid., p. 116.

[58] Ibid., p. 117 ; cf. Søren Kierkegaard, « L’école du christianisme », OC XVII, op. cit., p. 113-132.

[59] Cf. Søren Kierkegaard, « L’alternative – première partie », OC III, op. cit., p. 263-282.

[60] Jacques Ellul, La raison d’être. Méditation sur l’Ecclésiaste, op. cit., p. 75.

[61] Ibid., p. 241.

[62] Cf. Søren Kierkegaard, « Post-scriptum définitif et non scientifique aux Miettes philosophiques », OC X, op. cit., p. 93, 97, 109.

[63] Cf. ibid., p. 215.

[64] Cf. Jacques Ellul, La foi au prix du doute : « encore quarante jours… » (1980), Paris, La Table Ronde (Contretemps), 2006, p. 21.

[65] Ibid., p. 141.

[66] Ibid., p. 217.

[67] Ibid., p. 140.

[68] Cf. Søren Kierkegaard, Journal (extraits), III, 1849-1850, Paris, NRF Gallimard, 1955, p. 89 (Pap. Xi A 272).

[69] Jacques Ellul, La foi au prix du doute, op. cit., p. 144.

[70] Cf. Søren Kierkegaard, « Johannes Climacus ou De omnibus dubitandum est », OC II, Paris, Éditions de l’Orante, 1975, p. 313-362.

[71] Cf. Jacques Ellul, L’homme et l’argent (Nova et Vetera) (1954), in Le défi et le nouveau. Œuvres théologiques 1948-1991, Paris, La Table Ronde, 2007, p. 304.

[72] Cf. Jacques Ellul, La foi au prix du doute, op. cit., p. 149.

[73] Cf. ibid., p. 145.

[74] Ibid., p. 203.

[75] Søren Kierkegaard, « Post-scriptum définitif et non scientifique aux Miettes philosophiques », OC X, op. cit., p. 124.

[76] Cf. Jacques Ellul, L’espérance oubliée, op. cit., p. 188-195.

[77] Cf. Søren Kierkegaard, “L’Alternative – deuxième partie”, OC IV, Paris, Éditions de l’Orante, 1970, p. 299-317.

[78] Jacques Ellul, L’espérance oubliée, op. cit., p. 191 ; Søren Kierkegaard, « Crainte et tremblement », OC V, op. cit., p. 112.

[79] Cf. Søren Kierkegaard, « L’Alternative », OC IV, Paris, Éditions de l’Orante, 1970, p. 3-139.

[80] Cf. Jacques Ellul, Ce que je crois, Paris, Grasset, 1987, p. 91-117.

[81] Cf. ibid., p. 101-111.

[82] Ibid., p. 98.

[83] Ibid., p. 96-98.

[84] Cf. Jacques Ellul, L’impossible prière, (1970) in Le défi et le nouveau, op. cit., p. 642.

[85] Ibid., p. 120 ; Søren Kierkegaard, Journal (extraits), I, 1834-1846, Paris, NRF Gallimard, 1963, p. 385 (Pap. VII A 56).

[86] Cf. Jacques Ellul, L’impossible prière, op. cit., p. 709.

[87] Ibid., p. 726 ; Søren Kierkegaard, « Quatre discours édifiants », OC VI, Paris, Éditions de l’Orante, 1979, p. 342-363.

[88] Cf. Jacques Ellul, L’espérance oubliée, op. cit., p. 172-181.

[89] Cf. Jacques Ellul, Le Vouloir et le Faire, op. cit. ; Éthique de la liberté, op. cit. ; Les combats de la liberté, Paris – Genève, Le Centurion – Labor et Fides, 1984.

[90] Jacques Ellul, Le Vouloir et le Faire, op. cit., p. 84.

[91] Cf. Søren Kierkegaard, « Crainte et tremblement », OC V, op. cit., p. 146-158.

[92] Cf. Jacques Ellul, Le vouloir et le Faire, op. cit., p. 169-170.

[93] Jacques Ellul, Éthique de la liberté, op. cit., tome 2, p. 113.

[94] Ibid., tome 1, p. 95 ; Søren Kierkegaard, Journal (extraits), V, 1854-1855, Paris, NRF Gallimard, 1961, p. 69 (Pap. Xii A 168). Cette citation est reprise, amplement développée sur près de cinquante lignes, dans L’espérance oubliée : cf. Jacques Ellul, L’espérance oubliée, op. cit., p. 148-150.

[95] Cf. Jacques Ellul, Ce que je crois, op. cit., p. 249-274.

[96] Jacques Ellul, Les combats de la liberté, op. cit., p. 5 ; Søren Kierkegaard, « L’instant », OC XIX, Paris, Éditions de l’Orante, 1982, p. 177.

[97] Cf. Søren Kierkegaard, Correspondance, Paris, Éditions des Syrtes, 2003, p. 297-301.

[98] Cf. Patrick Chastenet, op. cit., p. 42, 68-69, 124-125.

[99] Cf. Jacques Ellul, L’illusion politique, op. cit.

[100] Cf. ibid., p. 209.

[101] Cf. Jacques Ellul, Anarchie et christianisme (1988), Paris, La Table Ronde (La petite Vermillon), 1998, p. 25 ; Patrick Chastenet, op. cit., p. 130-131.

[102] Cf. Jacques Ellul, Anarchie et christianisme, op. cit.

[103] Ibid., p. 17-18.

[104] Cf. ibid., p. 20.

[105] Ibid., p. 58.

[106] Patrick Chastenet, op. cit., p. 15.

[107] Cf. Jacques Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, op. cit. ; Le système technicien, op. cit ; Le bluff technologique (1988), Paris, Hachette (Pluriel), 2004.

[108] Jacques Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, op. cit., p. 51.

[109] Ibid., p. 343.

[110] Cf. Søren Kierkegaard, « L’Alternative – première partie », OC III, op.cit., p. 81-128 ; « Crainte et tremblement », OC V, op. cit., p. 194-198 ; Journal (Extraits), I, 1834-1846, Paris, NRF Gallimard, 1963, p. 74 (Pap. I A 150).

[111] Jacques Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, op. cit., p. 345.

[112] Cf. Jacques Ellul, Le bluff technologique, op. cit., p. 641-643, 652-653.

[113] Ibid., p. 601.

[114] Søren Kierkegaard, “Crainte et tremblement”, OC V, op. cit., p. 172.

[115] Jacques Ellul, L’idéologie marxiste chrétienne. Que fait-on de l’évangile ? (1979), Paris, La Table Ronde (La petite Vermillon), 2006, p. 39.

[116] Cf. Søren Kierkegaard, « La maladie à la mort », OC XVI, op. cit., p. 163-285.

[117] Jacques Ellul, Le bluff technologique, op. cit., p. 401.

[118] Ibid., p. 730.

[119] Cf. Jacques Ellul, Présence au monde moderne. Problèmes de la civilisation post-chrétienne (1948), in Le défi et le nouveau, op. cit., p. 24.

[120] Ibid., p. 111.

[121] Cf. ibid., p. 112-113.

[122] Søren Kierkegaard, “L’instant”, OC XIX, op. cit., p. 182-183.

[123] Cf. ibid., p. 34, 123.

[124] Cf. ibid., p. 122.

[125] Cf. ibid., p. 183.

[126] Cf. ibid.

[127] Cf. ibid.

[128] Ibid., p. 184.

[129] Søren Kierkegaard, Journal (extraits), V, 1854-1855, op. cit., p. 340.

[130] Cf. Søren Kierkegaard, “L’instant”, OC XIX, op. cit., p. 145, 185.

[131] Cf. ibid., p. 185.

[132] Cf. Jacques Ellul, Les nouveaux possédés (1973), Paris, Mille et une Nuits, 2003.

[133] Ibid., p. 29.

[134] Cf. ibid., p. 28-29.

[135] Cf. ibid., p. 31.

[136] Cf. ibid., p. 14-20.

[137] Cf. ibid., p. 18.

[138] Cf. Jacques Ellul, La subversion du christianisme, op. cit.

[139] Ibid., p. 7 ; Søren Kierkegaard, “L’instant”, OC XIX, op. cit., p. 184.

[140] Jacques Ellul, La subversion du christianisme, op. cit., p. 21.

[141] Ibid.

[142] Cf. ibid., p. 25-32.

[143] Ibid., p. 59 ; Søren Kierkegaard, “L’instant”, OC XIX, op. cit., p. 145.

[144] Cf. Jacques Ellul, La subversion du christianisme, op. cit., p. 46-147.

[145] Ibid., p. 237 ; Søren Kierkegaard, “L’instant”, OC XIX, op. cit., p. 167-168 (citation sans guillemets et tronquée dans le texte de Jacques Ellul, restaurée ici).

[146] Cf. Jacques Ellul, La subversion du christianisme, op. cit., p. 237-266.

[147] Ibid., p. 324.

[148] Cf. ibid., p. 304.

[149] Nelly Viallaneix, op. cit., tome 1, p. III.

[150] Cf. Søren Kierkegaard, « L’Évangile des souffrances », OC XIII, Paris, Éditions de l’Orante, 1966, p. 207-334.

[151] Jacques Ellul, Éthique de la liberté, op. cit., tome 1, p. 296 ; tome 2, p. 120.

[152] Ibid, tome 1, p. 296.

[153] Cf. Søren Kierkegaard, « L’Évangile des souffrances », op. cit., p. 209.

[154] Jacques Ellul, Éthique de la liberté, op. cit., tome 2, p. 170.

[155] Jacques Ellul, Si tu es le Fils de Dieu. Souffrances et tentations de Jésus (1991), in Le défi et le nouveau, op. cit., p. 941.

[156] Cf. ibid., p. 950-951.

[157] Ibid., p. 942.

[158] Cf. Jacques Ellul et Didier Nordon, op. cit., p. 15-23, 144 ; Didier Nordon, « Peut-on lire sans trahir ? », in Patrick Troude-Chastenet dir., Jacques Ellul, penseur sans frontières, Paris, L’Esprit du Temps, 2005, p. 335-345.

[159] Jacques Ellul et Didier Nordon, op. cit., p. 144.

 

Principales références à Søren Kierkegaard dans l’œuvre de Jacques Ellul

- L’homme et l’argent (Nova et Vetera) (1954), in Le défi et le nouveau. Œuvres théologiques 1948-1991, Paris, La Table Ronde, 2007, p. 304.

- « Kierkegaard 1813-1963 : L’homme au pied du mur », Réforme, n°946, 4 mai 1963, p. 8.

- Fausse présence au monde moderne, Paris, Les Bergers et les Mages (coll. Tribune libre protestante), 1964, p. 97.

- Le Vouloir et le Faire. Recherches éthiques pour les chrétiens, Genève, Labor et Fides (coll. Nouvelle série théologique n°18), 1964, p. 84.

- Kierkegaard ou l’anti théologie, Foi et Vie n°2, mars-avril 1970

- L’impossible prière, (1970) in Le défi et le nouveau. Œuvres théologiques 1948-1991, Paris, La Table Ronde, 2007, p. 642, 709, 726.

- L’espérance oubliée (1972), Paris, La Table Ronde (coll. Contretemps), 2004, p. 59 + p. 148-150, 191 (vérifier)

- Éthique de la liberté, Genève, Labor et Fides (coll. Nouvelle série théologique n°27+30), 1973, tome 1, p. 296 ; tome 2, p. 113, 120, 170.

- Sans feu ni lieu. Signification biblique de la Grande Ville (1975), Paris, La Table Ronde (coll. La petite Vermillon), 2003, p. 17.

- Préface du livre de Nelly Viallaneix, Écoute, Kierkegaard. Essai sur la communication de la parole, Paris, Cerf, 1979, tome 1, p. I-XVIII.

- L’idéologie marxiste chrétienne. Que fait-on de l’évangile ? (1979), Paris, La Table Ronde (La petite Vermillon), 2006, p. 39.

- Ellul par lui-même. Entretiens avec Willem H. Vanderburg (réalisés en 1979), Paris, La Table Ronde (coll. La petite Vermillon), 2008, p. 170.

- Kierkegaard et l’Église, Foi et Vie n°1-2, janvier 1980

- La foi au prix du doute. « Encore quarante jours… » (1980), Paris, La Table Ronde (coll. Contretemps), 2006, p. 21, 141, 147, 203, 217.

- À temps et à contretemps. Entretiens avec Madeleine Garrigou-Lagrange, Paris, Le Centurion (coll. Les interviews), 1981, p. 20, 55, 75-76.

- Les combats de la liberté, Paris – Genève, Le Centurion – Labor et Fides, 1984, p. 5.

- La subversion du christianisme (1984), Paris, La Table Ronde (coll. La petite Vermillon), 2001, p. 7, 15, 20, 31, 59, 237-238, 304, 307.

- « Précisions », Le Monde, 11 septembre 1987, p. 15.

- La raison d’être. Méditation sur l’Ecclésiaste (1987), Paris, Éditions du Seuil (coll. Points Sagesses), 2007, p. 19, 28, 31-32, 61, 75, 139, 182-183, 241, 275, 282, 310, 329.

- Anarchie et christianisme (1988), Paris, La Table Ronde (La petite Vermillon), 1998, p. 17-20, 58.

- Le bluff technologique (1988), Paris, Hachette (coll. Pluriel), 2004, p. 401, 601, 730.

- La technique ou l’enjeu du siècle (1954), Paris, Economica (coll. Classiques des Sciences sociales), 1990, p. 51.

- Ce Dieu injuste…? Théologie chrétienne pour le peuple d’Israël, Paris, Arléa-Poche, 1991, p. 58.

- Si tu es le Fils de Dieu. Souffrances et tentations de Jésus (1991), in Le défi et le nouveau. Œuvres théologiques 1948-1991, Paris, La Table Ronde, 2007, p. 941.

- L’homme à lui-même : correspondance avec Didier Nordon, Paris, Éditions du Félin (coll. Vifs), 1992, p. 23.

- Patrick Chastenet, Entretiens avec Jacques Ellul, Paris, La Table Ronde, 1994, p. 14-15, 90, 178.

 

Études sur l’influence de Søren Kierkegaard sur l’œuvre de Jacques Ellul

- Vernard Eller, « Ellul and Kierkegaard : closer than brothers », in Clifford G. Christians and Jay M. Van Hook ed., Jacques Ellul : interpretive essays, University of Illinois Press, Urbana-Chicago-London, 1981, p. 52-66.

- Frédéric Rognon, Jacques Ellul. Une pensée en dialogue, Genève, Labor et Fides (coll. Le Champ éthique, n°48), 2007, p. 169-209.

- Frédéric Rognon, "Ellul lecteur de Kierkegaard: la réception de l’œuvre kierkegaardienne dans la pensée de Jacques Ellul", Revista Portuguesa de Filosofia (Braga), tomo 64, fasc. 2-4, 2008, p. 1181-1206.

 

Principaux ouvrages de Søren Kierkegaard

- Journal (extraits), 5 volumes, Paris, Nrf Gallimard, 1941-1961.

- Oeuvres complètes, 20 volumes, Paris, Éditions de l’Orante, 1966-1986.

- Ou bien…ou bien… La reprise. Stades sur le chemin de la vie. La maladie à la mort, Paris, Robert Laffont (coll. Bouquins), 1993.

- Miettes philosophiques. Le concept de l’angoisse. Traité du désespoir, Paris, Tel Gallimard, 1990.

- Post-scriptum aux miettes philosophiques, Paris, Tel Gallimard, 1949.

- La reprise, Paris, GF Flammarion, 1990.

- Johannes Climacus, ou Il faut douter de tout, Paris, Rivages poche (coll. Petite bibliothèque), 1997.

- Crainte et tremblement, Paris, Rivages poche (coll. Petite bibliothèque), 2000.

- La répétition, Paris, Rivages poche (coll. Petite bibliothèque), 2003.

- Correspondance, Paris, Éditions des Syrtes, 2003.

- Exercice en christianisme, Paris, Éditions du Félin, 2006.

 

Quelques ouvrages de présentation de l’œuvre de Søren Kierkegaard

- André Clair, Kierkegaard. Penser le singulier, Paris, Le Cerf (coll. La nuit surveillée), 1993.

- France Farago, Comprendre Kierkegaard, Paris, Armand Colin (coll. Cursus), 2005.

- Rémy Hebding, Kierkegaard, Paris, Desclée de Brouwer (coll. Temps et visages), 1999.

- Nelly Viallaneix, Ecoute, Kierkegaard. Essai sur la communication de la parole, 2 volumes, Paris, Le Cerf, 1979.

 

 

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