■ Repères
Karl Marx (1818-1883) est né à Trèves et mort à Londres. Sa famille est d’origine juive, et comprend plusieurs rabbins. Son père s’est converti au protestantisme en 1816, mais uniquement pour pouvoir exercer sa profession d’avocat. Karl Marx fait des études de droit et de philosophie à Bonn, puis à Berlin, et enfin à Iéna (où il soutient en 1841 sa thèse de doctorat en philosophie sur Démocrite et Epicure, deux auteurs matérialistes). Son séjour à Berlin (1836-1840) le met en contact avec les « Jeunes hégéliens » : à la différence des « hégéliens orthodoxes » (ou « hégéliens de droite »), attachés à la lettre de la philosophie de Hegel, conservateurs en politique et chrétiens, les « Jeunes hégéliens » (ou « hégéliens de gauche ») ont renoncé au Système de Hegel pour ne retenir que la méthode dialectique et critique, et sont libéraux en politique et athées.
En 1842, révolté par la misère du monde ouvrier (qui détermine une bonne part de son cheminement intellectuel), Karl Marx renonce à une carrière universitaire pour devenir journaliste, puis rédacteur en chef de la « Rheinische Zeitung » (« Gazette rhénane »), organe de la bourgeoisie libérale, hostile au pouvoir politique prussien. En 1843, ce journal est interdit, et Marx s’expatrie à Paris, où il fonde les « Deutsch-Französische Jahrbücher » (« Annales franco-allemandes »), qui publieront La question juive et Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel (1844). Ces deux premiers écrits, critiques à l’égard des « Jeunes hégéliens », marquent la conversion de Marx au communisme, son adhésion à la cause de l’émancipation prolétarienne. À Paris, il rencontre Proudhon et Bakounine, les leaders du mouvement ouvrier, et surtout Friedrich Engels (1820-1895), qui sera son ami intime jusqu’à sa mort. Ils écrivent tous les deux La sainte famille (1845) et L’idéologie allemande (1845-1846, non publiée faute d’éditeur). Expulsé de France en 1845, Marx s’installe à Bruxelles, où il rédige les Thèses sur Feuerbach (1845), et en réponse à la Philosophie de la misère de Proudhon il publie en 1847 Misère de la philosophie. Fin 1847, Marx et Engels participent à Londres au deuxième Congrès de la Ligue des Communistes, récemment constituée, qui les charge de rédiger un texte programmatique. Ce sera Le Manifeste (du parti) communiste, qui paraît à la veille de la révolution de février 1848. Karl Marx soutient les insurgés, il est alors expulsé de Belgique, se rend à Paris comme invité du gouvernement provisoire, puis s’installe à Cologne où il fonde la « Neue Rheinische Zeitung » (« Nouvelle Gazette rhénane »). Accusé d’incitation à la rébellion, il est expulsé d’Allemagne, retourne en France, puis s’établit en 1849 à Londres, lieu d’exil définitif.
Marx vit misérablement dans la capitale anglaise, grâce aux subsides d’Engels, fondé de pouvoir de son père dans une usine de filature de Manchester. A partir de 1850 et jusqu’à sa mort, Marx partage son temps entre le journalisme (il est correspondant de plusieurs journaux européens et américains où il signe de nombreux articles sur tous sujets de politique internationale), des recherches approfondies d’économie en vue de la publication d’une œuvre massive (ce sera Le Capital, dont le premier tome paraît en 1867, et dont Engels achèvera et publiera les tomes 2 et 3 en 1885 et 1894), et enfin l’organisation du mouvement ouvrier, divisé en tendances rivales (anarchiste, réformiste, révolutionnaire). En 1864, il crée la première Internationale (Association internationale des travailleurs). Il publie plusieurs œuvres d’analyse politique, notamment Les luttes de classes en France (1850), Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (1852) et La guerre civile en France (1871) consacrée à la Commune de Paris, qu’il soutient et dans laquelle il voit un embryon de la société future. Ses dernières années sont assez obscures, et il meurt dans la pauvreté en 1883.
■ Ellul lecteur de Marx
par Frédéric Rognon [1]
Jacques Ellul reconnaît explicitement sa dette intellectuelle envers trois auteurs : Søren Kierkegaard (1813-1855) Karl Marx (1818-1883) et Karl Barth (1886-1968). Si le premier est sa source fondamentale[2], et le dernier sa source théologique, Karl Marx a fortement inspiré le versant sociologique de l’œuvre de Jacques Ellul, comme il en témoigne lui-même : « Dans le domaine politique ou social, pour la compréhension des phénomènes économiques, assurément Marx a été l’éveilleur et m’a fourni un instrument »[3].
LA RENCONTRE AVEC KARL MARX ET L’ENSEIGNEMENT DE SA PENSÉE
Ellul rencontre l’œuvre de Marx à 18 ans, dans un cours d’économie politique à la Faculté de Bordeaux, en plein cœur de la crise financière qui conduit ses parents au chômage : il découvre dans sa critique du capitalisme l’explication du drame de la misère qui le touche existentiellement, mais aussi la première interprétation globale du monde[4]. Il lira alors Le Capital, puis, affirme-t-il, la totalité de l’œuvre de Marx[5]. Il le reconnaîtra plus tard : il y a deux textes, cette œuvre et l’Évangile, qui « ont fait ma personnalité »[6]. Écartelé entre les deux, incapable de la moindre addition et de la moindre synthèse[7], il se verra impulsé vers la démarche dialectique. La critique marxiste de Hegel, en particulier, le sensibilisera aux impasses de l’idéalisme en théologie[8]. Jacques Ellul se reconnaît d’ailleurs dans l’architecture dialectique de l’œuvre de Karl Marx elle-même, chacun des deux versants, philosophique et économique en l’occurrence, s’expliquant par l’autre[9]. En revanche, Jacques Ellul sera foncièrement déçu par ses contacts avec les militants communistes, qui ne connaissent de l’œuvre du fondateur de leur mouvement que Le Manifeste communiste de 1848, et surtout qui, plus soucieux de la ligne du Parti que d’herméneutique marxiste, ont dogmatisée la pensée de Karl Marx et font preuve d’un aveuglement coupable à l’égard de la politique soviétique. Les procès de Moscou, en 1934-1935, le dissuadent définitivement d’adhérer au Parti Communiste[10]. Jacques Ellul refuse donc toute croyance idéologique, de type doctrinal ou messianique : ainsi compris, « le communisme est avant tout une corruption interne radicale de l’homme »[11]. Mais il retient du marxisme la méthode d’interprétation du monde, et notamment l’étude sociologique du capitalisme[12]. Jacques Ellul sera d’ailleurs le premier à introduire en France un enseignement de la pensée marxiste, à l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux, dès 1947, et il donnera ce cours, qui a été récemment publié à partir de notes et d’enregistrements[13], jusqu’à sa retraite en 1980.
Jacques Ellul expose en ces termes l’esprit dans lequel il s’adressait à ses étudiants : « Je les avertissais que mon objectif n’était pas de les rendre marxistes ou antimarxistes, mais de leur donner des instruments intellectuels leur permettant d’effectuer leur choix en connaissance de cause »[14]. On retrouve cette phrase dans les notes d’étudiants : « J’essaie de faire ce cours de telle façon que vous soyez amenés à savoir pourquoi vous seriez pour ou contre. Je souhaiterais que, si vous êtes pour, vous sachiez pourquoi ; que vous sortiez du dogmatisme. Je ne suis pas moi-même marxiste orthodoxe, dans la mesure ou je pense qu’il y a un dogmatisme que je ne peux pas accepter, que j’ai toujours refusé de faire de Marx un fétiche. Mais la pensée de Marx m’a constamment provoqué, inspiré »[15]. On retrouve l’attestation de ce principe pédagogique lorsque, dans Anarchie et christianisme, Jacques Ellul s’adresse à des lecteurs de sensibilité libertaire : son objectif est que « celui qui se veut athée ou agnostique, le fasse pour de bonnes raisons, et non pas pour des raisons fausses ou fabuleuses ! Lorsque j’enseignais un cours annuel (de 1947 à 1979) sur “Marx et le marxisme” à l’IEP, j’avais l’habitude de dire à mes étudiants : “J’essaie d’être le plus honnête possible, je ne cherche à convaincre ni dans un sens ni dans l’autre, ce que je voudrais c’est que lorsque vous décidez d’être marxiste ou antimarxiste, vous le fassiez non à partir d’une émotion, d’une idée vague, d’une appartenance de milieu, mais à partir d’une connaissance exacte et pour des raisons précises”. Je dirais la même chose ici aujourd’hui ! »[16] Jacques Ellul précisait d’ailleurs aux étudiants, par honnêteté intellectuelle, qu’étant chrétien, il se pouvait qu’il infléchisse involontairement les choses, et qu’ils devaient par conséquent garder un esprit critique, car il ne cherchait certainement pas à les endoctriner[17]. Son érudition dans le champ de la pensée marxiste, et sa distance critique à son endroit, font de Jacques Ellul un marxologue bien plus qu’un marxiste[18].
LE RÉALISME
Jacques Ellul sera donc toute sa vie en débat avec le marxisme. Ce qui l’intéresse chez Karl Marx, c’est un outil d’analyse critique de la réalité sociale qui lui semble opérationnel, dans sa volonté de démasquer ce qui est occulté par l’idéologie. La condition première de cette analyse, qu’il reçoit de Marx, est le réalisme. Il s’agit d’observer et de rendre compte du milieu concret tel qu’il est, en deçà de nos interprétations. Il importe en effet de lutter contre nos préjugés et nos systèmes interprétatifs, sous peine de ne pas voir le réel en tant que tel, afin de vivre de manière consciente[19]. Le fait est un donné préalable à l’égard duquel j’ai à me situer, à décider, à agir. Reconnaître cette réalité pour telle, ce n’est ni la nier, ni s’y soumettre. La réalité est la mesure même de notre liberté, sans elle notre liberté est un rêve. Il importe donc de connaître la réalité, mais non pas de s’y limiter. Or, l’erreur du marxisme, c’est-à-dire du courant idéologique et doctrinal qui tend à subvertir la pensée de Marx, a été de traiter le fait comme un critère de vérité, c’est-à-dire de confondre réalité et vérité. Il n’y a plus rien au-delà du fait[20]. Le réalisme de la pensée de Karl Marx s’avère donc aux yeux de Jacques Ellul un préalable indispensable à toute analyse sociologique et à toute réflexion éthique, mais par trop réducteur s’il prétend être davantage qu’un préalable.
KARL MARX, LES MARXISTES ET LA TECHNIQUE
Le projet sociologique de Jacques Ellul consiste à appliquer à la société technicienne de la fin du XXe siècle la méthode que Marx avait appliquée à la société capitaliste de la fin du XIXe siècle. Car c’est la technique qui lui semble être aujourd’hui le facteur déterminant, comme l’économie l’était du temps de Karl Marx[21]. Mais en affirmant cela, il s’oppose bien évidemment aux marxistes orthodoxes qui répètent dogmatiquement les schémas marxistes de la détermination en dernière instance des rapports de production sur la formation sociale, comme une vérité intangible, comme si la société n’avait pas bougé en un siècle. De même, il se refuse à donner un modèle de société, comme Karl Marx qui affirmait que la société future ne prendra forme qu’à travers la crise qui mettra un terme à la société présente[22]. Et à l’instar de Marx, il tend à dramatiser la situation, afin de mettre ses lecteurs au pied du mur, car l’homme ne s’engage que s’il est acculé à se défendre ; à la fin de sa vie, néanmoins, il reconnaîtra qu’il dramatise beaucoup moins, car les hommes sont suffisamment désespérés, et il ne veut pas ajouter à leur désarroi[23].
Comme Karl Marx l’a montré de façon convaincante, dans la société industrielle de type capitaliste, la véritable force productrice de valeur, c’est le travail humain, qui reste la condition sine qua non du fonctionnement des machines. C’est ce principe qui constitue à la fois la caractéristique et la contradiction du capitalisme, parce qu’il définit aussi bien l’aliénation que la force du prolétariat. Mais si l’on porte le même regard critique sur la société technicienne, on relève que les machines fonctionnent sans intervention humaine, et que par conséquent « toute la théorie de Marx est renversée par le simple processus technicien »[24]. Ce qui est véritablement créateur de valeur, c’est la technique elle-même, c’est-à-dire l’ensemble des machines en auto-fonctionnement. De plus, loin du gigantisme annoncé par Karl Marx, la technique tend à se miniaturiser. Et l’aliénation vient moins de la dépossession de soi par le travail salarié, que de la conformisation de l’homme à une société technicienne qui lui serait insupportable sans la propagande.
Or Jacques Ellul discerne précisément cet effet sur Karl Marx lui-même. Malgré l’inspiration qu’il retire de son œuvre pour l’analyse de la société moderne, il reste en effet foncièrement critique à l’égard de Karl Marx, et davantage encore des mouvements marxistes et des régimes communistes, au sujet de la fascination qu’exerce sur eux la technique : il les considère comme davantage victimes que tous les autres de l’illusion technologique, qui érige le progrès technique au rang de vecteur de libération pour l’humanité.
LA CRITIQUE DE L’EXÉGÈSE MARXISTE
Parmi les marxistes, « les chrétiens communistes sont les pires ! »[25] Comme l’indique ce jugement sans nuance, Jacques Ellul considère qu’on ne peut être à la fois chrétien et marxiste. Et c’est afin de dénoncer cette hybridation contre nature qu’il écrit L’idéologie marxiste chrétienne[26], avec pour sous titre : Que fait-on de l’Évangile ? Selon Jacques Ellul, les chrétiens marxistes ne se posent pas suffisamment la question de la compatibilité entre une philosophie matérialiste, et une foi dans la transcendance : en réinterprétant le christianisme à travers le filtre du marxisme, ils font preuve en réalité d’adhésion fidéiste à l’idéologie marxiste[27]. Néanmoins, Jacques Ellul ne relève pas de contradiction radicale entre la pensée de Marx et la foi chrétienne, et par conséquent aucune raison d’engager un combat exclusif et mortel, mais un rapport de conflit dialectique[28]. Voilà pourquoi c’est pour témoigner de sa foi chrétienne auprès de ses contemporains qu’il a recours à Karl Marx : celui-ci l’aide à comprendre ce monde-ci et les hommes qui y vivent.
Mais ce que Jacques Ellul reproche aussi au marxisme, c’est qu’il est devenu une véritable religion. Cette religion séculière a une théologie, une sotériologie, une eschatologie et une éthique[29]. Elle a remplacé le Jardin d’Eden par le communisme primitif, la Chute par le régime capitaliste, le péché par l’aliénation économique, le Messie par le prolétariat, la Rédemption par la révolution, la Parousie par la société communiste à venir[30]. Et les marxistes chrétiens ont donc adopté l’idéologie marxiste chrétienne comme une théologie horizontale qui, à l’instar de Feuerbach, ne fait que remplacer Dieu par l’humanité[31], et qui réduit Jésus à un leader de la lutte des classes. L’idéologie marxiste chrétienne est une réponse polémique et argumentée, adressée à deux livres qui connaissent alors un succès foudroyant : Lecture matérialiste de l’Évangile de Marc[32], de Fernando Belo, et Les idées justes ne tombent pas du ciel[33], de Georges Casalis.
Fernando Belo voulait « faire lire Marc par Marx »[34]. La critique que Jacques Ellul adresse à son exégèse matérialiste s’avère très fouillée et extrêmement sévère[35]. Il inventorie tout d’abord les innombrables erreurs d’ordre historique qui lui ont permis de faire rentrer l’Évangile dans le schéma marxiste, et il fustige même sa mauvaise compréhension des textes de Marx, que Belo ne connaît en réalité qu’à travers Althusser. Il lui reproche surtout d’avoir analysé le milieu socio-économique de Jésus et non pas celui de Marc[36] ; d’avoir vu les publicains et les prostituées comme des pauvres, et les pharisiens comme des riches (alors que c’était plutôt l’inverse)[37] ; d’avoir négligé le fait que le groupe des disciples rassemblait de manière significative riches et pauvres, zélotes et collaborateurs[38] ; d’avoir opéré une réduction politique et matérialiste d’un Évangile qui récuse justement toute interprétation matérialiste de la vie[39] ; et enfin de se présenter comme la seule lecture vraie et scientifique, ce qui est une manœuvre d’ordre idéologique[40].
Le livre de Georges Casalis est moins exégétique et plus théologique que celui de Fernando Belo. Casalis veut opposer à la théologie « dominante » et « de domination », qu’il qualifie de « déductive » (c’est-à-dire construite à partir du donné révélé), une contre-théologie qui soit « inductive » (c’est-à-dire partant des pratiques concrètes et vécues de lutte des classes)[41]. Les idées justes ne peuvent venir du ciel, mais seulement de la praxis[42]. La réplique de Jacques Ellul est cinglante[43]. Sa théologie qui se veut inductive est en réalité déductive, puisqu’elle part d’un a priori dogmatique[44] : les positions de Georges Casalis ne reposent pas en réalité sur la pratique, mais sur les principes marxistes, qu’il substitue simplement aux principes bibliques, pour en déduire ses dogmes. Ce Credo implicite peut s’énoncer en quelques articles : Marx a toujours raison et le marxisme est une science ; politique d’abord et avant tout (c’est à la pratique politique que l’on juge de la vérité d’une personne) ; la lutte des classes est une vérité scientifique ; le socialisme est l’expression des pauvres et des opprimés ; la Révolution ne peut être que socialiste ; il ne faut pas parler des régimes socialistes réels ; la Révolution ne doit jamais être remise en question pour des raisons théologiques ; le Peuple a spontanément et toujours raison ; le militant peut seul comprendre la parole de Jésus ; reconnaître et confesser explicitement Jésus comme le Christ n’a en définitive aucune importance[45]. Ainsi, le caractère foncièrement déductif de la pseudo-« théologie inductive » de Georges Casalis saute aux yeux. D’un point de vue chrétien, une théologie inductive est inconcevable, puisque la parole de Jésus n’est pas que l’expression de sa pratique, mais d’une révélation[46]. Une théologie soi-disant inductive n’est qu’un retour à la théologie naturelle, en substituant la société à la nature[47]. Or une théologie qui part d’une réalité humaine sera toujours fausse puisque les pensées ne sont pas les pensées des hommes, et ce n’est pas la praxis qui est première, mais la foi, c’est-à-dire la reconnaissance que Jésus est le Christ[48]. C’est pourquoi Jacques Ellul préfère ne pas avoir à choisir entre induction et déduction, mais instaurer une dialectique entre la pensée et le vécu[49], et substituer à la théologie de la libération une éthique de la liberté[50].
LES INTERPELLATIONS LANCÉES PAR LE MARXISME À LA FOI CHRÉTIENNE
Jacques Ellul ne s’en laisse pas moins interpeller par le marxisme sur différents points de la foi chrétienne[51] :
1) Le marxisme dénonce les injustices sociales ; les Églises sont infidèles à l’Évangile quand elles les reproduisent.
2) Le marxisme prend le parti des pauvres ; le christianisme le prétend aussi, mais ne le fait pas en réalité.
3) Le marxisme articule rigoureusement théorie et praxis ; les chrétiens manquent de cohérence entre leurs paroles et leurs actes.
4) Le marxisme s’intéresse à la vie concrète, à l’activité quotidienne ; le christianisme s’est désincarné, il s’est éloigné des réalités terrestres dont parle abondamment l’Ancien Testament et de l’incarnation qui est au cœur du témoignage du Nouveau Testament.
5) Le marxisme est militant et communautaire ; le christianisme est devenu désengagé et individualiste.
Ainsi, le christianisme a totalement trahi et perverti la révélation en la transformant en spiritualité religieuse. À son insu, Karl Marx nous révèle cette trahison. Il rappelle l’importance de la vie concrète : bien malgré lui, il réhabilite ce que le christianisme avait voilé. Il montre le mensonge de l’évasion dans le spirituel, et met la foi au pied du mur : sera-t-elle vécue ou non ? C’est pourquoi, par l’une de ses formules paradoxales dont il a le secret, Jacques Ellul s’autorise à dire : « Marx ramène les chrétiens à la vérité révélée »[52].
[1] Cet article reprend les grandes lignes d’un chapitre de l’ouvrage de Frédéric Rognon : Jacques Ellul. Une pensée en dialogue, Genève, Labor et Fides (coll. Le Champ éthique, n°48), 2007, p. 211-234.
[2] Cf. l’article « Ellul lecteur de Kierkegaard » sur ce même site.
[3] Nelly Viallaneix, Écoute Kierkegaard. Essai sur la communication de la parole, 2 tomes, Paris, Cerf, 1979, vol. I, p. II.
[4] Cf. Jacques Ellul, À temps et à contretemps. Entretiens avec Madeleine Garrigou-Lagrange, Paris, Le Centurion, 1981, p. 8, 14 ; Patrick Chastenet, Entretiens avec Jacques Ellul, Paris, La Table Ronde, 1994, p. 13-14, 87, 91.
[5] Cf. Patrick Chastenet, op. cit., p. 91.
[6] Jacques Ellul, À temps et à contretemps, op. cit., p. 28.
[7] Cf. ibid., p. 18-19.
[8] Cf. David C. Menninger, « Marx in the social thought of Jacques Ellul », in : Clifford G. Christians and Jay M. Van Hook eds, Jacques Ellul : interpretive essays, Urbana – Chicago – London, University of Illinois Press, 1981, p. 17-31, 22-23.
[9] Cf. Jacques Ellul et Didier Nordon, L’homme à lui-même : correspondance, Paris, Éditions du Félin (coll. Vifs), 1992, p. 23.
[10] Cf. Patrick Chastenet, op. cit., p. 13-14.
[11] Jacques Ellul, À temps et à contretemps, op. cit., p. 58.
[12] Cf. ibid., p. 57-58.
[13] Cf. Jacques Ellul, La pensée marxiste. Cours professé à l’Institut d’études politiques de Bordeaux de 1947 à 1979, Paris, La Table Ronde (coll. Contretemps), 2003.
[14] Jacques Ellul, À temps et à contretemps, op. cit., p. 143.
[15] Jacques Ellul, La pensée marxiste, op. cit., p. 251.
[16] Jacques Ellul, Anarchie et christianisme (1988), Paris, La Table Ronde (coll. La petite Vermillon), 1998, p. 68.
[17] Jacques Ellul, À temps et à contretemps, op. cit., p. 142-143.
[18] Cf. Jacques Ellul, La pensée marxiste, op. cit., p. 11.
[19] Cf. Jacques Ellul, Les combats de la liberté, Paris – Genève, Le Centurion – Labor et Fides, 1984, p. 56.
[20] Cf. ibid., p. 59-61.
[21] Cf. Jacques Ellul, À temps et à contretemps, op. cit., p. 155.
[22] Cf. ibid., p. 174.
[23] Cf. ibid., p. 197-198.
[24] Jacques Ellul, Changer de révolution. L’inéluctable prolétariat, Paris, Le Seuil (coll. Empreintes), 1982, p. 42.
[25] Jacques Ellul, À temps et à contretemps, op. cit., p. 58.
[26] Cf. Jacques Ellul, L’idéologie marxiste chrétienne. Que fait-on de l’Évangile ? (1979), Paris, La Table Ronde (coll. La petite Vermillon), 2006.
[27] Cf. ibid., p. 21-22.
[28] Cf. ibid., p. 84.
[29] Cf. ibid., p. 39.
[30] Cf. ibid., p. 57.
[31] Cf. ibid., p. 61.
[32] Cf. Fernando Belo, Lecture matérialiste de l’Évangile de Marc. Récit, pratique, idéologie, Paris, Le Cerf, 1974.
[33] Cf. Georges Casalis, Les idées justes ne tombent pas du ciel. Éléments de « théologie inductive », Paris, Le Cerf, 1977.
[34] Fernando Belo, op. cit., p. 18.
[35] Cf. Jacques Ellul, L’idéologie marxiste chrétienne, op. cit., p. 113-153.
[36] Cf. ibid., p. 130-131.
[37] Cf. ibid., p. 92, 101, 139-141.
[38] Cf. ibid., p. 141.
[39] Cf. ibid., p. 148-150.
[40] Cf. ibid., p. 153.
[41] Cf. Georges Casalis, op. cit., p. 13.
[42] Cf. ibid., p. 35-36.
[43] Cf. Jacques Ellul, L’idéologie marxiste chrétienne, op. cit., p. 155-196.
[44] Cf. ibid., p. 156, 161, 172.
[45] Cf. ibid., p. 159-160.
[46] Cf. ibid., p. 172.
[47] Cf. ibid., p. 161.
[48] Cf. ibid., p. 178.
[49] Cf. ibid., p. 163-164.
[50] Cf. ibid., p. 76.
[51] Cf. ibid., p. 11-16.
[52] Ibid., p. 15.
■ Principales références à Karl Marx dans l’œuvre de Jacques Ellul
- La technique ou l’enjeu du siècle (1950), Paris, Economica (coll. Classiques des Sciences sociales), 1990, p. 49-51.
- L’espérance oubliée (1972), Paris, La Table Ronde (Contretemps), 2004, p. 58-59.
- Éthique de la liberté, tome 1, Genève, Labor et Fides (Nouvelle série théologique n°27), 1973, p. 243.
- Préface du livre de Nelly Viallaneix, Écoute Kierkegaard. Essai sur la communication de la parole, 2 tomes, Paris, Cerf, 1979, vol. I, p. II.
- La pensée marxiste. Cours professé à l’Institut d’études politiques de Bordeaux de 1947 à 1979, Paris, La Table Ronde (coll. Contretemps), 2003.
- Les successeurs de Marx. Cours professé à l’Institut d’études politiques de Bordeaux de 1947 à 1979, Paris, La Table Ronde (coll. Contretemps), 2007.
- L’idéologie marxiste chrétienne. Que fait-on de l’Évangile ? (1979), Paris, La Table Ronde (coll. La petite Vermillon), 2006.
- Ellul par lui-même. Entretiens avec Willem H. Vanderburg (réalisés en 1979), Paris, La Table Ronde (coll. La petite Vermillon), 2008, p. 21-23, 27-28, 33, 53-57, 90-92, 139, 162-163, 178, 179.
- À temps et à contretemps. Entretiens avec Madeleine Garrigou-Lagrange, Paris, Le Centurion (coll. Les interviews), 1981, p. 8, 14, 18-19, 28, 57-58, 141-143, 155, 174, 197-198.
- Changer de révolution. L’inéluctable prolétariat, Paris, Le Seuil (coll. Empreintes), 1982, p. 42.
- Les combats de la liberté, Paris – Genève, Le Centurion – Labor et Fides, 1984, p. 56, 59-61.
- La subversion du christianisme (1984), Paris, La Table Ronde (La petite Vermillon), 2001, p. 20.
- La raison d’être. Méditation sur l’Ecclésiaste (1987), Paris, Éditions du Seuil (coll. Points Sagesses), 2007, p. 41, 76, 78, 108, 203-204, 279.
- Anarchie et christianisme (1988), Paris, La Table Ronde (coll. La petite Vermillon), 1998, p. 68.
- L’homme à lui-même : correspondance avec Didier Nordon, Paris, Éditions du Félin (coll. Vifs), 1992, p. 23
- Patrick Chastenet, Entretiens avec Jacques Ellul, Paris, La Table Ronde, 1994, p. 13-14, 87, 91.
■ Études sur l’influence de Karl Marx sur l’œuvre de Jacques Ellul
- David C. Menninger, « Marx in the social thought of Jacques Ellul », in Clifford G. Christians and Jay M. Van Hook eds, Jacques Ellul : interpretive essays, Urbana / Chicago / London, University of Illinois Press, 1981, p. 17-31.
- Frédéric Rognon, Jacques Ellul. Une pensée en dialogue, Genève, Labor et Fides (coll. Le Champ éthique, n°48), 2007, p. 211-234.
■ Principaux ouvrages de Karl Marx
- Philosophie, Paris, Gallimard (Folio essais), 1982 : comprend notamment :
- La question juive, pp. 47-88.
- Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel, pp. 89-108.
- Manuscrits parisiens, pp. 135-232.
- Thèses sur Feuerbach, pp. 232-235.
- L’idéologie allemande, pp. 287-392.
- Le manifeste communiste, pp. 393-440.
■ Ouvrages de présentation de l’œuvre de Karl Marx
Jacques Attali, Karl Marx ou l’esprit du monde, Paris, Fayard, 2005.
Jean-Yves Calvez, La pensée de Karl Marx, Paris, Seuil (coll. Esprit), 1956.
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